Alimón

Alimón

 

 

 

ou

 

 

 

l'héritage d'Armando Sanchez

 


 

 

 

 

 

 

Nouvelle

 

 

 

Georges GIRARD

 

 

 

 

Chapitre 1

 

Paseo.

 

Le soleil déclinait ses ombres longues dans la fraîcheur de janvier finissant. Contre-jour silhouetté d'or pâle. Le visage capturait la lumière que l'on rencontre, lissée à la brosse douce, dans les portraits de femmes de l'Ecole Flamande. Les yeux, les lèvres un peu lourdes, demeuraient mi-clos. Nul maquillage ne  rehaussait. Seul suffisait le trait. Pur. Pureté que la souffrance n'avait pas encore effleurée de son aile. Une mèche blond vénitien cascadait d'un bonnet de laine rouge pour mourir doucement sur le front. Les arcades marquées, le nez petit et droit, la pommette haute, le menton que dissimulait presque une grosse écharpe amarante, avaient du caractère. Une vapeur diaphane ourlait le col du blouson coupé sport relevé sur les oreilles. La tête un peu baissée, les mains au plus profond des poches lui faisaient l'air boudeur. Un jean moulait de jolies jambes glissées dans des bottes à talons. Mignonne.

Le silence se laissa égratigner par le train qui filait au ras des Corbières. Hors du temps. Préservation. Repos. Un souffle timide caressait le haut des cyprès noirs qui cernaient ce refuge que l'on dit le dernier. Elle s'était d'abord trompée de refuge, rabrouée gentiment par le gardien du Cimetière Marin. Il lui avait indiqué que son grand-père devait couler des heures agréables au "cimetière des pauvres" en compagnie de Brassens et que cette compagnie-là valait bien celle de Paul Valéry "avec vue sur la mer". Elle avait dévalé le Mont Saint-Clair, longé la Corniche et découvert au cimetière Py la tombe proprettement fleurie d'Armando Sanchez Ganz, décédé à Frontignan dans sa quatre-vingt-sixième année. Ce grand-père qu'elle n'avait même pas connu, le héros brigadiste d'Amposta, l'exilé emporté par l'exode désespéré des vaincus de 38, l'interné de Rivesaltes, lui aurait légué un joli pactole et quelques objets personnels.

C'est du moins ce que disait la lettre du notaire de Perpignan. Face-à-face troublant avec la photo médaillon. L'inconnu la fixe de son regard sépia, le regard de son père quand il lui faisait reproche; il ne parvenait jamais à se donner l'air sévère !.. Des yeux rieurs, les mêmes pattes d'oie, la même bonté un peu bourrue. La discrète plaque de marbre frappée du drapeau républicain espagnol porte une inscription à l'or fin :

 

"Adiós Camarada !"

 

Elle a feuilleté sans envie quelques revues et trouve le temps long. Un homme attend aussi. La quarantaine bien mise. Il est plongé dans un bouquin dont elle ne parvient pas à voir le titre. Brun, l'allure sportive. Ses mains sont soignées. Il porte d'élégants bottillons de cuir fauve. Le teint hâlé, les sourcils fournis. Il lève les yeux. Clairs, bleu-vert. Séduisant. Une secrétaire siliconée leur demande de patienter, le notaire va les recevoir...Un peu déconcerté par ce "les", il se présente sans attendre :

- José-Marí Sanchez, professeur en Langues Orientales à Salamanque, et vous ?

- Agnès Sanchez, secrétaire à Paris. J'ignorais que grand-père avait encore de la famille en Espagne...

-  ... Mais... C'est qu' il était aussi le mien ! Serions-nous  cousins ? J'en accepte volontiers l'augure !

Maître Lloret les détrompera. Ils n'ont aucun lien de filiation directe. Eloignée seulement. Leurs pères étaient demi-frères. Armando Sanchez les ayant reconnus tous deux, leur descendance devient co-héritière de fait. Ils trouveront dans le dossier de plus amples informations. Un codicille doit cependant leur être lu :

 

" Ma dernière volonté est que mes héritiers assistent ensemble à Madrid, Pamplona et Valencia à une corrida l'année de ma mort. A Madrid et à Valencia, je me suis battu. A Pamplona j'ai triomphé quand j'étais jeune matador avant que la guerre interrompe ma carrière. C'est à ma mémoire qu'ils se doivent de respecter ce codicille même s'il leur en coûte. Après seulement ils pourront jouir des fruits de mon travail."

 

L'élégante décoration Art-déco de la brasserie "Le Vauban" les laisse indifférents, enfermés qu'ils sont dans leur réflexion. Agnès s'insurge soudain :

- Il n'est pas question que j'aille m'asseoir sur les gradins d'une arène ! Je ne supporterais pas ce spectacle hors d'âge et cruel ! Mon père m'a appris toute petite à respecter les animaux et s'il était encore de ce monde, il me donnerait raison... De quel droit ce bonhomme que je n'ai même pas connu veut m'imposer cette chose ignoble, pire qu'un assassinat ? Mais pour qui il se prend ? Personne ne peut m'y obliger.

- Et vous perdrez de ce fait votre part d'un héritage qui, ma foi, semble assez confortable. Réfléchissez. Ce n'est quand même pas la mer à boire, trois corridas ! En Espagne ça a beaucoup de gueule, vous verrez...

- C'est tout vu ! Je n'irai pas ! Point.

- La colère vous va bien... vos yeux noisette surtout, et vos mains que vous agitez comme des marionnettes ! Soyez raisonnable... Je vous promets que vous ne le regretterez pas.

- Parlez pour vous ! Si ça vous excite de voir souffrir des taureaux, c'est votre problème ! Moi je m'y refuse. On ne m'a pas éduquée pour que j'applaudisse les bourreaux et ce n'est pas à mon âge que je commencerai...

- Quel âge a donc ce petit paquet d'indignation ?

- Trente. Et célibataire si ça peut vous intéresser...

- Pas pour l'instant... J'ai quarante deux ans et je vis séparé, sans enfant. J'en avais seize quand Armando Sanchez est revenu en Espagne après la mort de Franco pour tenter de retrouver mon père, Andres, et le reconnaître enfin, officiellement. Imaginez le choc ! Et l'émotion aussi dans toute ma famille... Mon père a fondu en larmes en apprenant que Verna, sa mère, avait  disparu sous les bombardements de Durango en mars 37. Il avait à peine un an. Une famille basque l'a recueilli et élevé comme elle a pu malgré la guerre. Il est mort l'an dernier... d'un cancer. Voilà pourquoi je suis ici ce soir, assis en face d'une furie qui n'est en définitive qu'une sorte de cousine et qui m'emmerde souverainement avec ses théories fumeuses ! La carte est sympathique. Que prendrez-vous ? Je vous conseille le steak tartare !..

- L'emmerdeuse préfère le poulet à la catalane et un verre    de Corbières rouge. Vous aussi vous me cassez les pieds avec vos grands airs de cabalero pétri de savoir-vivre ! Mais établissons une trêve voulez-vous ? Il fait bon, profitons-en. J'aimerais un apéritif, pas vous ? ... Que savez-vous en définitive de ce grand-père ?

- Deux Rivesaltes, alors... C'est à Rivesaltes, justement, tout près d'ici, qu'il a échoué en 38 au bout de ce qu'on a appelé la retirada. Ils étaient des milliers, enfermés dans ce camp, civils, brigadistes, républicains espagnols. Des vaincus... La France ne les accueillait pas en héros, non. Elle les parquait lamentablement et se méfiait d'eux.... C'est là qu'il a connu votre grand-mère, Assunta, et que Matias est né, oui, votre père. Il a profité d'un transfert vers le camps de Gurs pour s'évader avec eux et rejoindre les Maquis de l'Ariège. Il y a organisé des réseaux de passeurs qui traversaient la montagne pour mettre à l'abri résistants et aviateurs alliés. A la libération, il est resté en France, à Frontignan. Ouvrier agricole puis viticulteur, il a repris une petite usine d'embouteillage qu'il a fait prospérer, seul après qu'il fut devenu veuf, jusqu'à sa mort...

- Mais pourquoi mon père n'a-t-il  jamais parlé de tout ça ? Il se fermait toujours quand ma mère ou moi lui posions des questions... J'ai seulement appris, très tard, qu'ils avaient définitivement cessé toute relation à la suite d'une violente dispute lorsque mes parents ont divorcé et que mon père est parti vivre avec moi à Paris... Mais quel gâchis ! Quelles têtes de mules !

- On ne peut rien contre ces choses-là. Je suis bien payé pour le savoir... Finissez votre poulet, il va refroidir. Un dessert ?

- Non, vous êtes gentil... Qu'allons-nous faire maintenant ?

- Aller ensemble à ces corridas. Après, nous verrons...

- Je croyais m'être bien fait comprendre... J'ai toujours eu ça en horreur ! Un jour à Nîmes, j'ai même laissé en plan des amis qui voulaient à tout prix que je les accompagne... Je n'ai pas pu entrer aux arènes tellement j'appréhendais ce que j'allais voir... On ne se refait pas. Vous me trouvez idiote, non ?

- Pas vraiment... Mais avant de refuser d'emblée, il convient de connaître. Accompagnez-moi. Je vous y aiderai. Je crois, sans prétention, que je pourrais être un bon guide. Vous n'aimerez peut-être pas, mais au moins vous saurez pourquoi.

 

*****

 

 

 

Chapitre 2.

 

Piques et banderilles.

 

".../... Je suis mort deux fois à Madrid. Les tankistes italiens ont lancé une grande offensive et nous avons tenu. ¡ No pasarán ! José-Luis, mon peon de confiance, mon ami, mon frère est tombé à mes côtés, une balle en plein cœur... J'ai cru que moi aussi j'allais mourir... C'était presque le printemps. L'espoir. Les fleurs poussaient dans les gravats. On est venu me chercher. Un officier m'a dit qu'il fallait que je sois courageux... Verna et notre enfant avaient péri sous les bombes fascistes à Durango. Je suis mort de douleur pour la seconde fois. Diós ! Qu'elle est lourde la croix que tu m'as obligé à porter ! Pourquoi ? .../..."

 

Las Ventas gronde sa colère. Rien ne va. Finito de Cordoba, noir et or, est sifflé à son premier toro et tue mal son second. Tabac et or, El Califa reste sans recours devant ses deux adversaires. El Juli s'y prend mal et tue mal le faible troisième. Il tente en vain de se racheter au dernier mais la messe est dite et la corrida est foutue... Ce 3 juin de la San Isidro ne restera pas dans les mémoires et le tendido 7 aura hurlé comme chat qu'on égorge pour dénoncer les magouilles dans le choix des toros.

- Désolé Agnès, je ne pouvais pas prévoir...

- Prévoir quoi ? Qu'on vient d'assassiner six  pauvres bêtes ? Que des types que vous m'aviez présentés comme des vedettes allaient se livrer à une pantomime ridicule ? Celui en blanc, dans son costume de premier communiant, le meilleur m'aviez-vous dit, qu'est-ce qu'il a fait de si extraordinaire ?

- El Juli ? D'habitude il est brillant !.. Aujourd'hui... je ne comprends pas... Je ne sais pas quoi vous dire...

- Alors, taisez-vous ! La ferme ! Silence radio. Et ces picadors sur leurs chevaux fous de peur, le public a bien fait de les siffler ! C'était une boucherie votre truc ! Un vrai piège à cons ! Et j'ai été assez conne pour croire votre baratin ! C'est fini. Je rentre. J'en ai assez vu ! Vous irez sans moi à Pamplona et à Valencia. Sans moi ! Dire que j'avais posé un congé... Quatre jours de vacances en l'air,  voilà tout ce que j'ai gagné... J'ai envie de chialer, tiens ! Au moins le mouchoir blanc servira à quelque chose ! Salaud !.. Je me tire et je vous laisse à vos spectacles pour névropathes ! Vous avez bien failli m'avoir ! Je retourne à Paris.  Hasta la vista, compañero...  

 

 

 

".../... A l'époque je me  faisais appeler "El Minero"en l'honneur de mon oncle, mineur des Asturies que la police avait tué l'année précédente pendant la terrible répression qui a suivi les grèves. Pamplona était ma première grande corrida, après celle de  mon alternative qui n'avait pas été fameuse. Ce jour-là  je me suis surpassé devant un public clairsemé mais que j'ai réussi à intéresser. Et j'ai coupé les oreilles à mes deux Pablo Romero, qui ont bien collaboré. J'alternais avec Domingo Ortega et Luis Fuentes Bejarano.  Ce fut mon jour de gloire et, hélas, ma despedida. La guerre m'a empêché de poursuivre. Je le regrette encore parfois aujourd'hui... ¡ Qué pena ! .../... "

 

Dans le martèlement de la "Chica Yéyé" et sur fond de "Paquito Chocolatero" la corrida de Jandilla  devient celle d'El Juli.  Il a retrouvé son sourire pendant la San Fermin après son bache madrilène. Sortie en triomphe méritée pour le jeune maestro de blanc et d'or vêtu. Le mexicain Zotoluco, ciel et or, est resté en dedans. Le tolédan Eugenio de Mora, de marine et d'or, a été mal servi. Ce jeudi 11 juillet resplendit sous le soleil de Navarre. Don Ernesto aurait de quoi se réjouir.

- Agnès ! ... Mais que faites-vous plantée là ?

- Je vous attendais, et dans cette foule déchaînée j'ai bien cru ne jamais pouvoir vous retrouver. Rien que des foulards rouges et des chemises blanches...! Autant chercher une aiguille...

- Il fallait m'appeler !.. Ainsi, vous avez changé d'avis, c'est bien... J'en suis très heureux...Vous avez vu la corrida au moins ?

- Je me suis fait escroquer par un revendeur mais j'ai eu une place de soleil. L'ambiance m'a interloquée... Quelle fête ! Des types que je ne connaissais pas m'ont fait boire des coups, j'ai mangé des churros dégoulinants de graisse, j'ai même dansé sur les gradins ! Bref, je me suis régalée ! Quel torero votre Julian Lopez et quel ballet de folie aux banderilles ! Vous aviez raison. Pourtant je n'ai pas bien compris pourquoi l'Indien a loupé le quatrième. C'était un grand toro, non ?

- El Zotoluco a parfois l'inconstance des sud-américains, un jour oui, un autre non. C'est ça aussi, la corrida. Mais je constate avec plaisir que vous devenez une vraie aficionada !

- Rien n'est fait mon cher... Chaque chose en son temps ! Je me suis documentée c'est tout.

- Au Club Taurin de Paris sans doute ?

- C'est ça, moquez-vous ! Il était fermé ! Je me suis plongée dans la lecture : Jean Cau, "Les oreilles et la queue", formidable !

J'ai commencé "...Ou tu porteras mon deuil. ". On y apprend pas mal de choses sur l'Espagne d'après la guerre, terrifiant...

- Je pense sincèrement que vous avez ouvert la bonne porte.

- L'autre matin il y a eu une manif anti-corrida. Je l'ai vu à la télé à l'hôtel. Ils étaient tous à poil ! J'ai trouvé ça ridicule. Ils s'y prennent comme des manches. J'ai quand même réalisé que leur combat pour la sauvegarde des animaux, toros ou autres, a une connotation politique très éloignée de ce que m'avait inculqué mon rêveur de père...

- Ces gens-là mélangent tout. On peut bien sûr ne pas apprécier la tauromachie, ne pas l'admettre même... Mais l'interdire comme ils le prétendent, au nom de la liberté et de l'amour des bêtes... Et puis, ça fait partie d'un vaste ensemble de traditions très anciennes. On ne peut pas tout balayer à coups de banderoles, les fesses à l'air de surcroît ! Je vous choque ?

- Non, vous me surprenez. Vous n'êtes pas sectaire. Eux, il le sont, c'est ça qui me gêne. Allons prendre un verre ! Vous connaissez Pamplona ? J'aimerais me balader Calle Estafeta , là où passe l'encierro. Vous voyez ? Je me cultive ! Merci Señor Hemingway ! Je suis très émue en tout cas d'être ici et d'avoir assisté à une corrida dans ces arènes mythiques où notre grand-père a fait le paseo... C'est uniquement pour ça que je suis venue, une sorte de pèlerinage. Je voulais voir, essayer de comprendre... Si on m'avait dit... J'avais un peu peur pourtant... mais j'ai pris sur moi et j'en suis sortie, pas convaincue mais... ébranlée, oui, c'est le mot qui convient. Comme quoi on ne peut pas toujours vivre avec de belles certitudes qu'on brandit comme des alibis.

 

La cohue de la rue Estafeta les emporte dans son flux chaloupé. Elle serre très fort la main qu'il lui a offerte. Bondé le bistrot Fitero, et les pintxos délicieux. Le soir, Parc de la Citadelle, c'est  le traditionnel feu d'artifice, assis sur l'herbe humide. Jusque tard, à la terrasse de l'Iruña, ils sacrifieront à l'incontournable pacharán con hielo, attentifs à ne pas rompre le charme. Pamplona vrombit. On boit, on chante, on tangue, on aime... à s'éclater le cœur.

 

*****

 

 

Chapitre 3

 

Faena y sangre.

 

" .../... Trois fois j'ai traversé l'Ebro dans l'eau noire et glacée, accroché à ma barque, une nuit d'épouvante ! Trois fois j'ai ramené dans nos lignes les camarades blessés. Certains étaient déjà morts sans savoir que je les avais arrachés aux baïonnettes des Maures...

Le cimetière d'Amposta tressautait sous les obus. Les tombes s'ouvraient, béantes, les croix se tordaient comme mains en prière, les pierres éclataient...Le bataillon se repliait et lançait ses dernières grenades. La Brigade agonisait. Valencia restait isolée, seule  face aux hordes franquistes. .../... "

 

Grave blessure de Ferrera à son second. Le public qui jusque là avait vibré en chaleureuses ovations et fêté trois grands banderilleros, a été cueilli à froid . Espla, magistral chef de lidia, a convaincu. El Fandi a enchanté par sa maîtrise et son enthousiasme. Ferrera à son premier se montra chatoyant à la cape, impérial avec les palos. C'est la cuisse garrottée, son sang rougissant la piste, qu'il a estoqué Pitillito avant d'être amené à l'infirmerie. Par respect, Fandi a refusé la Grande Porte. Un beau geste du granadín et un superbe 21 juillet de Feria à Valencia!

- ¡Hola, profesor !.. ¿Qué tal ?

- Toi, ici ? Quel bonheur ! Agnès, je vous présente Antoine Cailleurat, ex-écarteur landais, un grand, reconverti avec talent  dans le journalisme... Antoine m'a beaucoup appris...

- ... C'est elle la cousine ? Maquarelle ! Elle a pourtant l'air bien gentillette !

- Je ne sais pas ce que vous avez pu raconter à mon sujet à votre ami, mais lui au moins il sait reconnaître l'évidence ! C'est vrai que j'ai été "très" gentille de vous écouter, de supporter tant bien que mal ce que vous m'aviez donné pour être le plus extraordinaire des spectacles... Le fiasco de Madrid, le joyeux bordel de Pampelune et le drame d'aujourd'hui... ça fait beaucoup, vous ne trouvez pas ? Je vous avais dit que ce serait au-dessus de mes forces... J'ai eu la trouille de ma vie !  Ils sont fous ces types ! Se jouer la peau devant de tels monstres dépasse l'entendement !.. C'est vraiment un truc de dingues ! Non, je ne comprends toujours pas qu'on éprouve du plaisir à se faire mal aux fesses sur des gradins d'enfer, à cuire au soleil, pour voir des toros, ... ou des hommes.., se faire massacrer ! Et c'est ça que vous avez le culot d'appeler de l'Art ?.. Trop compliqué pour moi. J'abandonne.

- La petite n'a pas tort José. Il faut être préparé, informé, rassuré, consolé parfois... On "n'entre pas en tauromachie" du jour au lendemain, il t'a fallu combien d'années à toi ?.. et je suis à peu près certain que tu n'en as pas fait le tour... Je me trompe ?

- Bien sûr que non. Mais nous n'avons pas eu vraiment le choix non plus, tu es au courant. J'étais pourtant sûr des cartels. Elevages et matadors auraient pu donner beaucoup mieux. La corrida de Pamplona n'était pas si mauvaise, ce soir, celle du Puerto de San Lorenzo était bien présentée, bien armée... Il a fallu cette cornada ... Aussi, qu'avait-il besoin de se mettre en danger ?

- Tu sais bien qu'Antonio Ferrera se met systématiquement en danger ! Et le cœur au milieu, en plus !.. Il torée à l'ancienne, avec ses cojones ! Oh ! pardon Mademoiselle !..

- Rien de grave, allez...

- Vous savez à quoi vous me faites penser, les enfants ? A un quite d'une grande profondeur, d'une grande beauté aussi. Deux toreros présentent en même temps leur cape et font passer le toro entre eux en pivotant sur place, chacun dans un sens. Par chicuelinas ou par gaoneras, ce quite a beaucoup d'allure.

Vous êtes pareils à ces toreros. Vous tournez en sens contraire. Agnès avec ses refus, ses interrogations, ses doutes, ses peurs . Toi, José, avec ta connaissance, ton afición et surtout ton désir de lui offrir la chose la plus belle qui soit. Mais vous oubliez le toro. Personne ne peut prévoir dans laquelle des deux capes il va mettre les cornes... C'est là tout le mystère de la corrida. L'inconnue absolue demeure le toro... Ne le perdez jamais de vue.

Un jour, moi je l'ai oublié. J'écartais un toro limpio aux Fêtes de Bayonne. Absolument certain qu'il passerait. J'aurais parié jusqu'à mes espadrilles... Il est venu droit sur moi... et j'ai reçu la plus belle tumade de ma carrière! Deux mois d'hosto... ¡ Hijo de puta !

- Tu ne nous a toujours pas dit le nom de cette passe à deux...

- Le quite a l'Alimón , pourquoi ?

 

 

 

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Publié dans Nouvelles

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