Nostalgie
Nostalgie quand tu nous tiens !
Doté de raison, l’homme a toujours espéré en un devenir meilleur. Les croyances, les religions lui ont apporté et ont entretenu cette espérance qui le guide encore aujourd’hui ; puis vint le siècle des Lumières, puis le temps des utopies. Cette lueur se nourrit souvent de propos fondateurs transmis à l’écrit, par l’usage ou à l’oral ; ils traversent les siècles, les millénaires et on ne perçoit pas le moindre signe d’essoufflement de leurs effets. Souvent ancrés dans la mémoire et dans l’histoire de la communauté qu’ils animent, ils visent à projeter l’individu ou le groupe vers un aval prometteur et donc les libèrent d’un passéisme rassurant mais qui pourrait être inhibiteur. Le phénomène couvre le champ existentiel et s’est élargi aux manifestations sociales les plus ordinaires.
Ce préambule pour évoquer l’état des lieux des combats de taureaux dont l’essence remonterait en deçà des calendes grecques bien avant la codification de la corrida au dix-huitième siècle. Aujourd’hui encore l’ouvrage de José Delgado Guerra, dit Pepe HILLO fait référence pour établir les canons de la tauromachie espagnole.
Au-delà des règlements taurins, le thésaurus s’est enrichi de précis, traités, essais, et autres écrits qui en constituent la doctrine. Mais depuis lors rien n’est venu fédérer les faiseurs de corridas contraints à une attitude défensive après avoir constaté les lacunes de la transmission et l’agressivité de l’opposition. Le monde change, la corrida, elle, semble figée et peine à évoluer. Force est de constater qu’à l’heure actuelle ne se dégage aucune perspective stratégique si ce ne sont les lamentations de certains prédisant la disparition proche de la corrida, et, de son propre fait, affirment-ils. Le ver issu de la génération spontanée serait dans le fruit. Alors que faire quand il n’y a rien à attendre ? Épier l’homme providentiel ? Plonger dans le passé et donc exploiter le filon naturel et rassurant de la nostalgie ?
Et si ça avait été mieux avant ?
Les organisateurs ne s’y sont pas trompés, lesquels multiplient les programmations faisant appel aux vieilles gloires. Mais pourquoi un tel engouement ?
Le pari aurait pu être risqué dans la mesure où l’annonce de tels cartels ne fait jamais bondir les foules ; cependant faute de grive on mange du merle. Les figuras du « G quelque chose » ont perdu en grande partie leur crédit et vivent sur leur élan ; les élevages trop conciliants sont déconsidérés mais ils continuent à vendre. Le taureau authentique n’attire que les demi-sel et les seconds couteaux alors même qu’il est seul pourvoyeur d’émotion.
Les anciens retirés du ruedo ou oubliés d’un mundillo avide de nouveautés et d’un retour économique immédiat sont là pour assurer et ils assurent, rassurer aussi… Plus que bien d’ailleurs. Quelques exemples :
A Pâques 2012, la corrida des dizaines réunissait Ruiz MIGUEL, soixante-deux ans, Victor MENDES, cinquante-deux ans et El FUNDI, la quarantaine passée, elle a été plaisante. En 2014 le retour amical de José Miguel Arroyo Delgado, dit « JOSELITO » à Istres a été une réussite ; la programmation émouvante de Carlos Escolar Martin, dit « FRASCUELO » à Céret a marqué les esprits et rassuré les organisateurs inquiets de leur engagement moral. Et que dire de la présentation en France de Rodolfo Rodriguez, dit « El PANA » voulue par les arènes de Saint Vincent de Tyrosse.
A l’instar des tournées « âge tendre et têtes de bois », le circuit va se poursuivre, dans quelques semaines, quelque part en Espagne, à Guadalajara, où un mano a mano opposera « FRASCUELO à El PANA ». Certes chacun avec son style bien personnel délivre une leçon à montrer aux écoles taurines. Les attitudes, la variété des registres, l’économie de gestes sont là, la sérénité règne sur le sable ; ils maîtrisent parfaitement sitio et poder, une vingtaine de passes pas plus ! Comme si la rupture d’exercice et l’observation avaient stimulé en eux la réflexion sur leur propre actuation.
Le risque de muséification est cependant patent.
L’effet ne peut être que de très court terme. L’esprit festival flotte sur les corrals et les armures… autant de contrats que ne signeront pas de jeunes toreros ; certes cela peut satisfaire les gradins vieillissants et c’est respectable mais cela manque d’ambition. Le « c’était mieux avant » ne peut fonder l’avenir de notre passion. Le débat ne se situe pas à ce niveau, il touche à la désaffection d’un public qui ne les a pas connus en activité et pour lequel ils ne sont pas l’avenir. L’environnement sociétal évolue, la corrida non, il faudrait en tenir compte ; faute de cela elle sera irrémédiablement figée et sollicitera au mieux son entrée dans un conservatoire ou un musée que l’on peut espérer vivant.
René Char a dit « il n’y a que deux façons de prendre la vie, soit on la rêve, soit on l’accomplit » ; le rêve, soit ; la nostalgie, passe encore. Evitons le cauchemar.
Je sais que des institutions se mobilisent pour travailler l’image de la corrida et visent de nouveaux publics, jeunes en particulier. C’est essentiel si cela s’inscrit dans un contexte véritablement refondateur. Mais pour cela ne faudrait-il pas aller plus loin et organiser une réflexion radicale, réécrire les fondamentaux et penser une prospective ? Décider de prendre notre destin taurin en main, en quelque sorte. Vaste programme !