MADRID - MAI 2020 - PLACE DU ROI

Publié le par vingtpasses

MADRID - MAI 2020 - PLACE DU ROI

Dans son livre De la biologie à la culture, RUFFIÉ rappelle : "Aucune culture, aucune religion, aucune civilisation n'est à l'abri de la destruction". Il faut le croire. Et la censure, plus sournoise qu'une attaque assumée, est l'un des vecteurs d'une possible lente destruction. En lien direct, l'exclusion de la tauromachie des aides financières par le ministre au secteur de la Culture en Espagne, dont pourtant elle dépend. Et nous parlons bien ici de la corrida, Patrimoine Culturel Immatériel de l'Espagne...

Passant outre la fermeture de la frontière pour cause de Covid,  Dominique VALMARY, Président de la Fédération des Société Taurines de France, nous invite à une promenade matinale plaza del Rey à Madrid, à la découverte d'un message projeté au devant de ses pas, dans un univers imaginaire, délicat et sensible.

C. CREPIN

Madrid - mai 2020 - Place du Roi

Par Dominique VALMARY

 

Un matin de printemps, la chaleur lourde d'un été trop précoce est déjà là. Il a décidé d'aller faire ses courses à ce qui aurait dû être la fraîche.
Un matin de printemps comme les autres qui ne sera pas comme les autres. Machinalement, son dernier geste réflexe précède sa sortie matinale quotidienne. Pour évaluer la température extérieure il jette un regard avisé vers la cour intérieure de l'immeuble depuis la fenêtre de son appartement quand son attention est attirée par un phénomène lumineux. Une sorte de message - des lettres, mots ? - semble défiler sur la façade opposée et que la succession des ouvertures, volets et les surfaces tapissées de vigne vierge déforme et rend chaotique. Un phénomène que les irrégularités du support et la vue de biais empêchent de lire.
Illusion optique d'un trait de lumière portée par la vitre d'une fenêtre qui s'ouvre lentement, se dit-il.
En poussant la porte du rez de chaussée donnant accès à la cour intérieure et chaussé de son masque, il porte son regard vers le même trait de lumière qui sollicite encore une fois son attention, il porte bien des mots. Le message défile comme défilent les affichages lumineux numériques suivis de points de suspension avant réitération à l'infini. Les mots se succèdent et paraissent constituer une phrase que l'écran naturel couvert de feuilles grasses et vertes rend invisible. Un coup d’œil en arrière pour en comprendre la source, rien de particulier si ce n'est que le message se déplace et l'invite à le suivre.
Sous le porche menant au portail d'entrée il distingue difficilement quelques syllabes apparemment se la no, affichées sur le mur latéral mais impossibles à décrypter.
Dans la rue le défilement fait face à lui dans le sens de la marche et guide ses pas. Il lui faut un temps d'adaptation à la luminosité d'un soleil éclatant gommant les contrastes et à la succession des zones d'ombre et de lumière. Il croit pouvoir lire sura se tura sur le chemin de ses habitudes en saluant quelques connaissances dont les habitudes coïncident aux siennes. La projection des mots alterne entre sol et murs faits de vitrines qui se succèdent reflétant le message toujours aussi illisible.
Se la no et sura tura lui trottent dans la tête sans qu'il put en distinguer l'articulation encore moins en comprendre le sens.
Déambulation du matin, succession de ses achats de bouche, diversion, les échanges familiers, les propos de quartier habituels, la météo, l'actualité d'effet immédiat, la pandémie, confiné-dé- confiné etc... Mais diversion n'est pas solution à son interrogation.
Lorsqu'il reprend sa marche s'affichent toujours la trace lumineuse au sol ; tura se sura no la, 

dans le désordre comme au scrabble patientent sur le range-lettres les voyelles et les consonnes en attente du tirage libérateur.
Il a son parcours, utilitaire au départ puis divertissant quand le plaisir des yeux commande. Il se dirige vers la Plaza del Rey en vue de la Maison des Sept Cheminées, bien d'intérêt culturel classé au patrimoine historique de l'Espagne.

Toujours le message projeté au devant de ses pas avec de nouvelles syllabes cen cult. Lesté de son filet de provisions, Il décide de faire une pause récupération-délectation-plaisir-des-yeux sur un banc faisant face à l'édifice. Effort aussi de concentration pour résoudre l'énigme devenue obsession. Cen se tura sura la no cult... Quelques miettes données aux pigeons plus tard, il se lève et voit une affiche inhabituelle collée sur la façade de l'immeuble historique devenu le siège d'un ministère, d'évidence elle a échappé à la vigilance de la sécurité des lieux : 

la cultura no se censura ! 

Il fait immédiatement le lien avec la décision prise par le Ministre de la Culture d'exclure des aides financières destinées à faire face aux conséquences économiques de la pandémie covid19 la tauromachie dont il exerce pourtant la tutelle.
La réaction des figuras et du mundillo serait en marche, l'occasion d'aller boire un fino au café du coin situé à deux rues de là et dont l'enseigne est prometteuse : le Libertad 8, étonnant, non ! Pas besoin de huit, il suffit d'une seule liberté, Monsieur le Ministre, il vous suffit de respecter ceux qui ne pensent pas comme vous, respecter la corrida, respecter une culture historique et emblématique de l'Espagne.

 

 

 

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article