Alimón (suite)

Publié le par vingtpasses

 

 

 

Alimón

 

 

 

ou


 

L'héritage d'Armando Sanchez (suite)

 

 


 alimon phot

 

 

 

 

Nouvelle.

 

 

Georges GIRARD

 

 

 

Chapitre 2.

 

 

Piques et banderilles.

 

".../... Je suis mort deux fois à Madrid. Les tankistes italiens ont lancé une grande offensive et nous avons tenu. ¡ No pasarán ! José-Luis, mon peon de confiance, mon ami, mon frère est tombé à mes côtés, une balle en plein cœur... J'ai cru que moi aussi j'allais mourir... C'était presque le printemps. L'espoir. Les fleurs poussaient dans les gravats. On est venu me chercher. Un officier m'a dit qu'il fallait que je sois courageux... Verna et notre enfant avaient péri sous les bombes fascistes à Durango. Je suis mort de douleur pour la seconde fois. Diós ! Qu'elle est lourde la croix que tu m'as obligé à porter ! Pourquoi ? .../..."

 

Las Ventas gronde sa colère. Rien ne va. Finito de Cordoba, noir et or, est sifflé à son premier toro et tue mal son second. Tabac et or, El Califa reste sans recours devant ses deux adversaires. El Juli s'y prend mal et tue mal le faible troisième. Il tente en vain de se racheter au dernier mais la messe est dite et la corrida est foutue... Ce 3 juin de la San Isidro ne restera pas dans les mémoires et le tendido 7 aura hurlé comme chat qu'on égorge pour dénoncer les magouilles dans le choix des toros.

- Désolé Agnès, je ne pouvais pas prévoir...

- Prévoir quoi ? Qu'on vient d'assassiner six  pauvres bêtes ? Que des types que vous m'aviez présentés comme des vedettes allaient se livrer à une pantomime ridicule ? Celui en blanc, dans son costume de premier communiant, le meilleur m'aviez-vous dit, qu'est-ce qu'il a fait de si extraordinaire ?

- El Juli ? D'habitude il est brillant !.. Aujourd'hui... je ne comprends pas... Je ne sais pas quoi vous dire...

- Alors, taisez-vous ! La ferme ! Silence radio. Et ces picadors sur leurs chevaux fous de peur, le public a bien fait de les siffler ! C'était une boucherie votre truc ! Un vrai piège à cons ! Et j'ai été assez conne pour croire votre baratin ! C'est fini. Je rentre. J'en ai assez vu ! Vous irez sans moi à Pamplona et à Valencia. Sans moi ! Dire que j'avais posé un congé... Quatre jours de vacances en l'air,  voilà tout ce que j'ai gagné... J'ai envie de chialer, tiens ! Au moins le mouchoir blanc servira à quelque chose ! Salaud !.. Je me tire et je vous laisse à vos spectacles pour névropathes ! Vous avez bien failli m'avoir ! Je retourne à Paris.  Hasta la vista, compañero...  

 

 

".../... A l'époque je me  faisais appeler "El Minero"en l'honneur de mon oncle, mineur des Asturies que la police avait tué l'année précédente pendant la terrible répression qui a suivi les grèves. Pamplona était ma première grande corrida, après celle de  mon alternative qui n'avait pas été fameuse. Ce jour-là  je me suis surpassé devant un public clairsemé mais que j'ai réussi à intéresser. Et j'ai coupé les oreilles à mes deux Pablo Romero, qui ont bien collaboré. J'alternais avec Domingo Ortega et Luis Fuentes Bejarano.  Ce fut mon jour de gloire et, hélas, ma despedida. La guerre m'a empêché de poursuivre. Je le regrette encore parfois aujourd'hui... ¡ Qué pena ! .../... "

 

Dans le martèlement de la "Chica Yéyé" et sur fond de "Paquito Chocolatero" la corrida de Jandilla  devient celle d'El Juli.  Il a retrouvé son sourire pendant la San Fermin après son bache madrilène. Sortie en triomphe méritée pour le jeune maestro de blanc et d'or vêtu. Le mexicain Zotoluco, ciel et or, est resté en dedans. Le tolédan Eugenio de Mora, de marine et d'or, a été mal servi. Ce jeudi 11 juillet resplendit sous le soleil de Navarre. Don Ernesto aurait de quoi se réjouir.

- Agnès ! ... Mais que faites-vous plantée là ?

- Je vous attendais, et dans cette foule déchaînée j'ai bien cru ne jamais pouvoir vous retrouver. Rien que des foulards rouges et des chemises blanches...! Autant chercher une aiguille...

- Il fallait m'appeler !.. Ainsi, vous avez changé d'avis, c'est bien... J'en suis très heureux...Vous avez vu la corrida au moins ?

- Je me suis fait escroquer par un revendeur mais j'ai eu une place de soleil. L'ambiance m'a interloquée... Quelle fête ! Des types que je ne connaissais pas m'ont fait boire des coups, j'ai mangé des churros dégoulinants de graisse, j'ai même dansé sur les gradins ! Bref, je me suis régalée ! Quel torero votre Julian Lopez et quel ballet de folie aux banderilles ! Vous aviez raison. Pourtant je n'ai pas bien compris pourquoi l'Indien a loupé le quatrième. C'était un grand toro, non ?

- El Zotoluco a parfois l'inconstance des sud-américains, un jour oui, un autre non. C'est ça aussi, la corrida. Mais je constate avec plaisir que vous devenez une vraie aficionada !

- Rien n'est fait mon cher... Chaque chose en son temps ! Je me suis documentée c'est tout.

- Au Club Taurin de Paris sans doute ?

- C'est ça, moquez-vous ! Il était fermé ! Je me suis plongée dans la lecture : Jean Cau, "Les oreilles et la queue", formidable !

J'ai commencé "...Ou tu porteras mon deuil. ". On y apprend pas mal de choses sur l'Espagne d'après la guerre, terrifiant...

- Je pense sincèrement que vous avez ouvert la bonne porte.

- L'autre matin il y a eu une manif anti-corrida. Je l'ai vu à la télé à l'hôtel. Ils étaient tous à poil ! J'ai trouvé ça ridicule. Ils s'y prennent comme des manches. J'ai quand même réalisé que leur combat pour la sauvegarde des animaux, toros ou autres, a une connotation politique très éloignée de ce que m'avait inculqué mon rêveur de père...

- Ces gens-là mélangent tout. On peut bien sûr ne pas apprécier la tauromachie, ne pas l'admettre même... Mais l'interdire comme ils le prétendent, au nom de la liberté et de l'amour des bêtes... Et puis, ça fait partie d'un vaste ensemble de traditions très anciennes. On ne peut pas tout balayer à coups de banderoles, les fesses à l'air de surcroît ! Je vous choque ?

- Non, vous me surprenez. Vous n'êtes pas sectaire. Eux, il le sont, c'est ça qui me gêne. Allons prendre un verre ! Vous connaissez Pamplona ? J'aimerais me balader Calle Estafeta , là où passe l'encierro. Vous voyez ? Je me cultive ! Merci Señor Hemingway ! Je suis très émue en tout cas d'être ici et d'avoir assisté à une corrida dans ces arènes mythiques où notre grand-père a fait le paseo... C'est uniquement pour ça que je suis venue, une sorte de pèlerinage. Je voulais voir, essayer de comprendre... Si on m'avait dit... J'avais un peu peur pourtant... mais j'ai pris sur moi et j'en suis sortie, pas convaincue mais... ébranlée, oui, c'est le mot qui convient. Comme quoi on ne peut pas toujours vivre avec de belles certitudes qu'on brandit comme des alibis.

 

La cohue de la rue Estafeta les emporte dans son flux chaloupé. Elle serre très fort la main qu'il lui a offerte. Bondé le bistrot Fitero, et les pintxos délicieux. Le soir, Parc de la Citadelle, c'est  le traditionnel feu d'artifice, assis sur l'herbe humide. Jusque tard, à la terrasse de l'Iruña, ils sacrifieront à l'incontournable pacharán con hielo, attentifs à ne pas rompre le charme. Pamplona vrombit. On boit, on chante, on tangue, on aime... à s'éclater le cœur.

 

 

*****

 

A suivre

 


Publié dans Récits & nouvelles

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