CRIN BLANC
La Liberté !
Je me souviens. C’était au cinéma Majestic, aujourd’hui disparu, de la rue Emile Jamais, mais l’immeuble qui l’a remplacé garde encore son nom. En 1953, il projetait ce film inoubliable qui aura marqué les générations d’enfants de la guerre, mais aussi leurs parents et grands parents. Une ode à la Camargue sauvage, aux chevaux blancs comme l’écume des vagues, à cet enfant qui vivait encore ses rêves : « Crin Blanc ».
Dans une Camargue encore vierge, sans touriste, entre sable et paluns, entre vagues et sansouires, un cheval sauvage voulait garder sa liberté de galoper dans cette plaine de vent et de sel. Des hommes, sans méchanceté, ne pensaient qu’à attraper cet étalon et le domestiquer, mais seul un petit pêcheur des étangs, un enfant parvint à l’approcher même s’il dut subir une épreuve terrible avant de pouvoir approcher cette bête du Vaccarès. Trainé sur des kilomètres par « Crin Blanc » accroché à son lasso, Folco, joué à l’écran par un petit Marseillais d’une dizaine d’année, Alain Emery, obtint la confiance du Camargue. Tous les deux trahis par les hommes iront chercher, en s’enfonçant en mer, un pays où ils pourront vivre libres. Vivre libre, la belle affaire !
La Camargue sauvage, en 60 ans a disparu, vaincue par les touristes qui cherchent encore aux Saintes-Maries de la Mer le souvenir de Crin Blanc, en parcourant, à dos de chevaux dociles, les bords de l’étang du Vaccarès. Denys Colomb Daunant, le scénariste de ce film de Albert Lamorisse, qui obtint le Grand Prix du court-métrage au festival de Cannes en 1953, est décédé en mars 2006 . Il n’aura pas vu la destruction de l’hôtel particulier nîmois qui portait son nom à l’angle de la rue Fenelon et du boulevard Talabot.
Tout a changé en soixante ans. En 1953, Aparicio, César Gijon ou Antonio Ordoñez qui faisait la “une” de Paris-Match, n’étaient pas la honte du monde. Les défenseurs des animaux qui ne digéraient pas depuis deux ans la loi autorisant les courses de taureaux, ne crachaient pas sur les aficionados qui se rendaient aux arènes, ne les insultaient pas, ne tentaient pas de les empêcher d’entrer.
Aujourd’hui, il faut mobiliser un escadron de gendarmes pour contenir une bande de braillards qui voudrait interdire une tradition légitime des pays du Sud. C’est l’attaque frontale et brutale au nom de quoi ? Le mot liberté inquiète. Il est trop révolutionnaire, il faut censurer la poésie, domestiquer ce qui est différent d’une ligne politiquement correcte, attacher Crin Blanc, le priver de galoper. Il faut interdire. Eh bien non !
Samedi 19 avril, à Arles, en pleine Camargue, pays de Crin Blanc, un grand rassemblement d’hommes et de femmes épris de liberté se réunira devant l’amphithéâtre pour démontrer que le pays où l’on peut vivre libre est bien celui-ci, celui où nous vivons, où nos traditions sont respectables, où nous aimons nous rendre. Le peuple taurin pourra alors former une mer humaine. Non pas pour y périr comme Folco et Crin Blanc, mais pour garder sa Liberté.