L'INFIRMERIE DES ARENES

Publié le par vingt passes, pas plus...




DU PHILOSOPHE AU
MOZO DE QUIRÓFANO
        Par Jean-François BENEZET *




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L'accident, d'après une chromolithographie de D. Perea

 


     Avant d'aborder à proprement parler le sujet de l'infirmerie des arènes, il me semble nécessaire de rappeler que toute plaza de toros contient dans son enceinte 4 lieux que l'on peut aisément et justement qualifier de secrets, à savoir le toril, la chapelle, le patio de caballos et enfin l'infirmerie. Si je peux me permettre de faire un aparté, quitte à vous surprendre, je vais faire un lien avec le mode de pensée chinoise qu'est le Tao. Dans la manière de pensée Taoïste, tout ce qui nous entoure, nos pensées, nos sentiments, nos émotions, notre propre corps sont soit Yin, soit Yang. Le Yang c'est l'Est, là où le soleil se lève, c'est le début, la naissance, l'espoir, la chaleur, la joie, le mouvement, la force, l'inspiration, la lumière, la beauté. Ainsi, n'est-il point vrai que 3 de ces lieux secrets (toril, capilla, patio de caballos) se trouvent dans la zone Yang des arènes, c'est à dire à l'est. Ceci se vérifie d'autant plus aisément que ces derniers sont Yang dans leurs caractéristiques et fonctions. Le toril préside à la base de la corrida par la présence du toro, âme du sujet tauromachique par tous les espoirs qui pèsent sur son morillo, sa mobilité, sa caste avec bravoure et ce qui en découle, sa noblesse. Et puis, peut-on rester insensible à sa beauté sauvage. La chapelle, lieu plus intimiste où brille la flamme de la bougie, réceptrice des souhaits voire rêves de succès, d'inspiration, d'approche du geste parfait, d'empathie avec la bête mais également lien fugace et quelque peu éthéré d'une demande de protection avec un "Quelque autre", peu importe sa représentation. Enfin le patio de caballos qui réunit l'effervescence, l'agitation du moment juste avant, la naissance du spectacle, la mise en lumière de l'Homme qui se prépare à accomplir une œuvre dont il ne connait pas l'issue mais qui ressemble tellement au déroulement de la vie. Le Yin se trouve à l'Ouest, là où se couche le soleil, là où les choses se terminent, c'est obscurité, le froid, la douleur, le repli sur soi, l'échec, le coté caché, le calme et le silence. L'infirmerie, sujet de notre propos, se trouve à l’Ouest, dans le Yin et elle est bien à sa place. N'est telle point le lieu où l'on ne désire aller, celui de la souffrance où tout peut être remis en cause ou s'achever, le passage de la lumière de l'inspiration au silence pernicieux du doute qui s'installe, l'échec d'une symphonie inachevée? Considérée sous l'angle de vision du mode de pensée traditionnelle chinoise, force est de constater que l'infirmerie est à sa place.



    L'aspect pragmatique en est tout autre. L'infirmerie est placée au pire endroit qui puisse être. Le règlement UVTF recommande une infirmerie en contact direct avec le callejon ce qui n'est pas le cas à Nîmes nous le savons bien. En effet, il n'y a pas loin de 30 mètres entre le bois de la contre piste et celui de la porte d'entrée de l'infirmerie, ponctués de surcroît de 4 marches que l'on peut qualifier de romaines. Ceci est bien sur délétère pour le torero victime d'un traumatisme fermé comme par exemple une lésion du rachis (cf Nimeño II) avec au bas mot 30 soubresauts assassins correspondants aux pas des "porteurs", tout comme dans le cas d'une plaie hémorragique où la pratique du point de compression est illusoire avant l'arrivée sur la table d'examen. De surcroît, la forme de la piste nîmoise étant ovale avec un petit axe et un grand axe, force est de constater que l'infirmerie se situe dans le grand axe impliquant une plus grande distance à parcourir en cas de blessure survenant au centre de la piste avec les mêmes conséquences néfastes pour l'organisme humain citées plus haut. A la vue de la configuration architecturale bien entendue non modulable de amphithéâtre nîmois, une meilleure localisation de l'infirmerie semblerai se situer sous la présidence actuelle avec tout ce que cela pourrai impliquer dans les changements d'habitudes de certains. Désormais, pénétrons dans ce lieu secret si vous le voulez bien. Nous sommes d'emblée interpelés par exiguïté des lieux, à peine plus de 7 mètres carrés avec 3 armoires de matériel,  le lit d'examen et une lampe halogène sur pied faisant office de scialytique. C'est peu lorsque l'on sait que 5 personnes du personnel soignant, dont nous verrons la composition plus en détail ultérieurement, doivent officier auprès du toréro blessé. Au fond de cette salle une porte coulissante s'ouvre sur l'espace de soins dédié au public d'une surface de 5 mètres carrés environ. Voici donc exposées succinctement les contraintes auxquelles se trouve confrontée l'équipe médicale lorsqu'elle doit intervenir. Il reste une question en suspend: quid en cas de 2 blessures simultanées?


   
Afin de préciser le mode de fonctionnement de l'infirmerie des arènes de Nîmes, nous allons dans un premier temps détailler les compétences humaines puis le niveau d'équipement technique pour ensuite découvrir le déroulement et l'organisation de la chaîne des secours en cas de blessure. En se référant à nouveau au règlement taurin UVTF, l'infirmerie doit se doter à minima d'un chirurgien, d'un anesthésiste ainsi que de 2 infirmiers diplômés d'état. En se qui nous concerne, nous sommes bien au delà de ces exigences puisque l'équipe médico-chirurgicale, au début de chaque spectacle est composée de 2 chirurgiens, 2 anesthésistes, 1 urgentiste, 1 médecin généraliste, 2 infirmiers, 1 représentant de la pharmacie du CHU et d'un homme à tout faire, (…) le mozo de quirófano **. L'ensemble des hommes et des femmes composant cette équipe a pour dénominateur commun "l'aficion a los toros" et travaille  bénévolement tout en devant prendre leurs dispositions à l'égard de leurs assurances professionnelles afin de déclarer ce type d'activité médicale quelque peu marginal et à haut risque de responsabilité. L'ensemble des intervenants est regroupé au sein de l'association gardoise de chirurgie taurine dont la spécificité est d'être composée de personnes issues du secteur privé (clinique Kennedy) et du secteur public (CHU Caremeau) sous-tendant une dynamique d'équipe qui n'est que bénéfique. Le niveau d'équipement technique répond largement aux exigences exprimées par le règlement de l'UVTF puisque nous disposons du matériel nécessaire à la pratique de la réanimation, anesthésie générale comprise, fournis par le CHU ainsi que de 2 boites de chirurgie indispensables à tout geste de parage de plaie voire de clampage vasculaire. Ce même matériel de chirurgie est quant à lui fourni par la clinique Kennedy. Nous retrouvons donc cette notion de parité privé-public qui nous est chère. Le matériel lourd de réanimation est assuré par le CHU de Caremeau et "délocalisé" sous couvert d'une convention passée entre le CHU et l'organisateur de spectacle. L'ensemble des médicaments est mis à disposition gracieusement par le CHU.

   
Que se passe t-il en cas de blessure? Tout d'abord l'équipe médico-chirurgicale est soumise à une double émotion, celle que vit tout spectateur sans rien pouvoir faire et ensuite celle de découvrir la lésion et d'en apprécier la gravité dans l'intimité de l'infirmerie. Notre organisation fait que 5 personnes vont quitter le callejon, un des deux chirurgiens, un des deux anesthésistes, l'urgentiste, un des deux infirmiers et le "mozo de qirófano" **. Chacun d'entre nous possède un rôle bien défini. Ainsi, le premier à intervenir est ce fameux mozo de quirófano, ancien novillero qui va s'atteler au déshabillage du torero et lui parler  en orientant les propos sur les antécédents et les éventuelles allergies mais aussi en tenant des propos réconfortants, le tout dans un parfait espagnol. Le chirurgien se place au niveau de la plaie en vue de l'exploration et d'un éventuel geste de clampage vasculaire. L'anesthésiste se trouve à la tête et commande aux manœuvres de réanimation et d'antalgie avec pour aide l'infirmier qui pose la ou les perfusions. Enfin, l'urgentiste peut travailler de concert avec l'anesthésiste mais surtout assure la liaison avec la structure de soins qui recevra le torero blessé, la clinique Kennedy ou le CHU, et adapte le moyen de transport le plus approprié à la sévérité des lésions, soit ambulance simple, soit ambulance de réanimation du SAMU. Le chirurgien suivra ainsi son patient jusqu'au bloc opératoire. Nous le voyons donc, l'infirmerie est et reste une infirmerie mais n'est surtout pas un bloc opératoire. L'équipe médico-chirurgicale se donne les moyens de stopper une hémorragie, et une fois parvenue à ses fins, la réparation des lésions se fera dans un bloc opératoire et nulle part ailleurs. Un des problèmes récurrents dans ces situations reste l'intrusion de personnes extérieures à l'infirmerie qui sous des prétextes multiples et variés s'introduisent dans l'infirmerie et dont la présence devient très rapidement gênante de par l'exiguïté des lieux, du non respect du secret médical et de l'aspect malsain de ce type de comportement. Il n'est pas prévu à ce jour de "service d'ordre" permettant de pallier efficacement à ce problème. Un autre aspect à ne pas négliger concerne ce que l'on peut nommer la pression médiatico-sociale qui pèse sur les épaules de chacun et surtout sur celles du chirurgien. Il faut savoir faire vite et bien, les gens ne comprennent dans ces circonstances pourquoi les choses durent et qu'ils ne puissent être informés. Seul le chirurgien est habilité à répondre aux questions de la presse et du Mundillo. La crédibilité de l'équipe passe aussi par là.

   
En conclusion, je voudrai aborder 3 aspects. Tout d'abord, la pratique médicale et chirurgicale au sein d'une infirmerie d'arène est certes enrichissante sur le plan purement professionnel mais l'est bien plus sur le plan humain. A une époque où dans la société qui est la notre, la notion de risque devient de moins en moins acceptable, il est extravagant de rencontrer des personnages hors-normes en la personne des toreros qui en plus d'accepter le risque l'assument totalement avec une très haute considération de ce qui se nomme le destin et le corollaire qui va avec, la fatalité. Nous sommes en face de gens véritablement responsables vecteurs inévitablement de valeurs. Ceci laisse bien évidemment à réfléchir. Le deuxième aspect abordé sera un paradoxe. Savez-vous quels sont les cas les plus graves que nous ayons eus à traiter? Nous en avons eu trois qui concernaient tous le public avec des pathologies mettant en jeu d'emblée le pronostic vital à savoir un infarctus du myocarde, une crise d'asthme gravissime chez une jeune femme de 25 ans et une réaction allergique généralisée avec œdème de Quincke. Dans ces 3 cas, l'infirmerie nous paraissait presque trop grande si vous voyez ce que je veux dire et pourtant dans ces instants le drame de la vie se jouait tout à la fois dans l'arène et à l'infirmerie mais là sans que quiconque ne s'en préoccupe. Paradoxe... Enfin pour terminer, l'infirmerie des arènes n'a rien pu faire pour cet ouvreur qui en prenant son poste s'est écroulé au pied de son vomitoire, terrassé par ce que l'on nomme communément une attaque cardiaque. Trente minutes plus tard les grilles ouvraient au public, en même temps que l'infirmerie devenait fonctionnelle. Fatalité...



* Jean-François BENEZET, médecin anesthésiste et aficionado, fait partie de l’équipe médico-chirurgicale de l’infirmerie des arènes de Nîmes (en tandem avec Jean-Yves BAUCHU, chirurgien des Arènes, dont nous avons déjà publié quelques "conseils de lectures"). Jean-François BENEZET est intervenu le 3 décembre 2009 devant les membres du CERCLE TAURIN NÎMOIS  sur le thème : L'INFIRMERIE, COMMENT çA MARCHE ?  "Vingt passes, pas plus" publie le contenu de cette intervention.

 

** littéralement, « garçon de salle d’opération ».   
 

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