Musidora, la vamp amoureuse de l'Espagne

Publié le par Dominique VALMARY

  Musidora photo

 

Le succès du film « the artist » a-t-il aidé la présentation de films muets au cycle « les femmes de cinéma » par la cinémathèque de Toulouse ? Au premier abord il est permis de le penser et, même si c’est le cas, l’histoire du 7° art vient atténuer cette influence par la place essentielle occupée par  l’actrice Musidora et son réalisateur fétiche Louis Feuillade parmi les animateurs du premier tiers du 20° siècle. Et tout ceci avec un lien, étonnant et comme naturel, avec la corrida.

JEANNE ROQUES, alias Musidora (1889-1957)

 Jeanne Roques est née à Paris le 23 février 1889 dans un milieu artistique et engagé : son père compositeur de musique est aussi théoricien socialiste, sa mère critique littéraire féministe et peintre.


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Très jeune elle exprime ses prédilections pour les arts, monte sur les planches à l’âge de seize ans et prend pour nom de scène Musidora à la lecture de Fortunio, le roman de Théophile Gautier. Elle se produit dans diverses comédies, revues et surtout dans une adaptation de Claudine à Paris, œuvre alors attribuée à Henry Gauthier-Villars dont on apprendra plus tard qu'elle était l'œuvre de Colette son épouse. Musidora noue avec elle une amitié durable.

En 1913, Musidora apparaît pour la première fois sur les écrans, dans « les misères de l'aiguille », un drame noir à caractère social. Un an plus tard, elle signe un contrat à long terme avec la Gaumont et fait la connaissance de Louis Feuillade qui a réalisé la série très populaire des Fantômas. Ce cinéaste choisit Musidora pour incarner Irma Vep (anagramme du mot « vampire ») dans son chef-d'œuvre, « Les Vampires ». Vêtue d’une combinaison noire moulante, Musidora fait sensation dans ce rôle de la femme fatale partenaire du Grand Vampire qui dirige une société secrète de brigands semant la terreur dans Paris.


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Première femme fatale du cinéma français elle affiche une plastique irréprochable, de longs cheveux noirs, une peau très blanche rehaussée par un regard charbonneux; ces canons font d'elle l'incarnation de la beauté moderne. 

Après son mariage en 1927 avec le médecin Clément Marot, dont elle a un fils, Musidora s’éloigne du 7° Art. Femme de lettres, elle écrit deux romans (Arabella et Arlequin et Paroxysmes), un recueil de poésies, des chansons et une trentaine de pièces de théâtre. Après la réalisation d’un ultime court-métrage en 1950, elle termine sa carrière auprès d’Henri Langlois à la Cinémathèque Française au service presse et documentation. La muse des surréalistes (Louis Aragon et André Breton ont écrit, « Le Trésor des Jésuites », une pièce lui rendant hommage où tous les noms des personnages sont des anagrammes de Musidora : Mad Souri, Doramusi ...,), la première vamp du cinéma français s’éteint le 7 décembre 1957.

Louis Feuillade réalisateur aficionado

Louis Feuillade, né à Lunel le 19 février 1873, est issu d'une famille modeste ; son père est commissionnaire en vin. Sa famille, très pieuse, lui assure une instruction catholique suivie à l'Institut Religieux de Carcassonne. Jeune homme, Louis s’intéresse à la littérature et écrit de nombreux drames, vaudevilles et poèmes mais c’est surtout grâce à ses articles passionnés sur la tauromachie qu’il construit localement sa réputation.


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 Son imagination féconde lui vaut d'être engagé chez Gaumont comme scénariste, et sa compétence technique le mène bientôt à la mise en scène. Léon Gaumont le nomme directeur artistique et donc responsable des choix artistiques d'une compagnie dont l'ambition est de concurrencer la maison Pathé.Lorsque le concurrent éternel annonce la présentation française du film « Les Mystères de New York», il réagit en recherchant l'actrice capable de rivaliser avec Pearl White: ce sera Jeanne Roques, alias Musidora. Les protagonistes, Judex et Diana Monti, se disputent, pour des causes opposées, la fortune d'un banquier véreux. Il décède à 52 ans, le 26 février 1925, à Nice, des suites d'une péritonite, quelques jours à peine après avoir achevé «Le Stigmate».

Passionné de tauromachie, il se fera connaître par ses chroniques taurines ; ces textes republiés sous le titre Chroniques taurines, 1897-1907 (éditions UBTF) mettent en exergue le militantisme actif de l’auteur : sa riposte à l’académicien Julien Lemaître, violent anti taurin, lui vaudra la reconnaissance du milieu aficionado parisien. Il adhère au Tori-Club Parisien  où il fait la connaissance  d’André Heuzé auteur dramatique et scénariste qui le met en contact avec le monde du cinéma. Il rédige également le feuilleton tauromachique intitulé : Mémoires d’un toréador français (éditions UBTF). Reconnu par sa ville, son nom sera  attribué au centre culturel.

Musidora en Espagne

L’artiste, déçue par plusieurs échecs, s'installe en Espagne En 1920, elle accepte de jouer « pour Don Carlos » (« la capitana Alegria »), adaptation d’un roman de Pierre Benoit. Un jeune sous-préfet, Olivier de Préneste, est nommé en décembre 1875 dans les basses Pyrénées. Dès son arrivée, il se trouve embarqué dans les rivalités qui opposent les partisans du prétendant au trône d’Espagne Charles de Bourbon,  Charles V, avec le pouvoir en place incarné par Alphonse XII. Il tombe dans un piège monté par Alegria Detchart, l'égérie de l'insurrection carliste et se rallie à la cause carliste avec sa fiancée. Faits prisonniers et condamnés à mort, ils sont sauvés par Alegria qui se sacrifie pour eux. Cette période troublée de l'histoire de l'Espagne débuta en 1830, année au cours de laquelle le roi d'Espagne Ferdinand VII modifia en faveur de sa fille Isabelle II, et au détriment de son frère don Carlos, l'ordre de succession à la couronne. Sur les plateaux elle fait la connaissance d’Antonio Cañero, une rencontre qui influence sa carrière.

Antonio Cañero l’être aimé

Né à Cordoue le 1er janvier 1885 et décédé en 1952, Antonio Cañero Baena est un rejoneador espagnol.


Antonio Cañero

 

Il est à l'origine de la renaissance dans son pays de la corrida à cheval délaissée pendant 150 ans. Professeur d'équitation dans l'armée, il devient capitaine de cavalerie. C'est à la suite du triomphe qu'il obtient à Madrid le 14 octobre 1921 au cours d'une corrida de bienfaisance qu'il décide de devenir professionnel. Avant cela, il avait participé à de nombreux concours équestres en France, en Espagne et au Portugal. Mais ses débuts dans la tauromachie remontent à l'année 1913 où on signale sa présence comme torero à pied dans des festivals taurins. Ses véritables débuts de rejoneador professionnel datent du 2 septembre 1923. Après la guerre, période où il reprendra la carrière avec le grade de commandant, il va s'intégrer parfaitement à la vie civile à Cordoue dont il devient conseiller municipal. Son nom reste attaché aux initiatives d’ordre social qu’il engage.

Le monde de la tauromachie lui doit une véritable renaissance de la tauromachie à cheval qu'il a codifiée.


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Cependant, cette forme de combat s'éteint avec lui. Il faudra attendre l'arrivée d’Alvaro Domecq Diez et de Conchita Cintron pour que le rejóneo retrouve les faveurs du public. C'est Antonio Cañero qui a eu l'idée de se passer d'un novillero pour la mise à mort du taureau. Il a mis pied à terre avec la muleta et a affronté directement l'animal. Il a également mis au point le costume de campo désormais adopté par les rejoneadors et posé les premières banderilles courtes dénommées « roses ». Le 1er novembre 1925 il se produit à Paris dans un spectacle équestre. Mais sa notoriété décroit assez rapidement en Europe. Après un triomphe sans précédent à Mexico en 1927, il torée de moins en moins jusqu'en 1935, date à laquelle il se retire des arènes.


Musidora et la corrida

Amoureuse d’Antonio Cañero elle recourt à ses services en qualité de conseiller artistique et acteur lors du tournage du film « Sol y Sombra » dont elle est la productrice, la réalisatrice et l’actrice principale. Dans cette tragédie tournée en 1922 à Tolède et en Andalousie une servante d'auberge, Juana, est fiancée à Antonio, un torero qui se laisse séduire par une étrangère. Antonio est tué lors d'une corrida. Juana, désespérée, poignarde alors sa rivale. Le roi Alphonse XIII déclare : " Une Française a fait là un film absolument espagnol et dans l'esprit espagnol".

En cours de tournage la comédienne est bousculée par un taureau ce qui ne l'empêche pas de réaliser un documentaire sur la vie des élevages. Ce film  « La Tierra de los Toros », composé de cinq tableaux : 1. La vie d'un ganadero, la veille d'une corrida. 2. La corrida, le rejoneador. 3. La laide. 4. Métamorphose. 5. Epilogue est largement inspiré de l’aventure que vivaient alors les deux acteurs.

 Deux réalisations mineures ponctuent son séjour : « une aventure de Musidora en Espagne » et « Juana, la servante d’auberge et la blonde étrangère ». Ces films ne lui apportent pas la fortune, ni même la gloire et, la quarantaine aidant, ils signent au contraire la fin de sa carrière cinématographique à l’heure de l’émergence du cinéma parlant et de la nouvelle silhouette de l’héroïne.

Tranche de vie

Le hasard provoque la rencontre de personnes qui deviennent de vrais personnages romanesques: la mythique femme fatale du cinéma muet, le réalisateur prolixe et l’icône du rejoneo. Cela pourrait être le prétexte d’un film avec pour décor  la Belle Epoque et l’ambiance colorée des Suds.  Synopsis : LF, un aficionado a los toros et militant de la cause, écrit « l’article » qu’il fallait avoir écrit en réponse à l’article violemment anti taurin de  l’académicien Jules Lemaître en pleine polémique relancée par la loi Bertrand interdisant en France les courses de taureaux; il est sollicité pour adhérer au club taurin parisien qui compte où lui est présenté l’homme qui l’introduit dans le mundillo du cinéma. Devenu directeur artistique de la Gaumont il découvre en M l’actrice à la plastique irréprochable dont il fait la première vamp de l’histoire du cinéma. Ont-ils parlé taureaux? Il reste que M s’installera en Espagne où, si elle poursuit sa carrière, elle séduit AC connu pour avoir inventé la corrida à cheval de l’époque moderne. La fin du scénario moins romanesque est plus difficile à envisager: de retour à Paris après une rupture sentimentale, un échec commercial et le décès de LF, M rentre dans le rang; elle adopte alors une vie bourgeoise et se consacre à l’écriture…..

C’est « une tranche de vie » dont les évènements semblent s’enchainer avec évidence et facilité ; hélas pour Musidora, elle coïncide avec l’arrivée du parlant qui promeut les nouveaux faiseurs de cinéma. D’autres destins, d’autres rencontres, d’autres aventures suivront...


Publié dans Culture taurine

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C
Notre film " MUSIDORA,LA DIXIEME MUSE "(65mn),réalisé par Patrick Cazals est diffusé ce mois de Novembre 2013 par la chaîne CinéCinéma Classic. La prochaine diffusion est prévue le Mardi 19<br /> Novembre à 12h20.Une autre le 29 Novembre à 12h10.<br /> Ce portrait de Musidora évoque bien entendu ses tournages en Andalousie, ses propres films, sa passion pour Anonio Canero et bénéficie de la présence de Léa Vicens.
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F
Biographie : MUSIDORA, UN CERTAIN REGARD /2012<br /> GIRAUDET<br /> Merci de bien vouloir porter intérêt à la biographie que j'ai rédigée au sujet de MUSIDORA sur<br /> http://pagesperso-orange.fr/livre-polaire/<br /> Merci
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