CHEVAUX DE CORRIDA
La recherche de l’adéquation harmonieuse entre le torero idéal et le taureau idéal fait couler beaucoup d’encre et de salive, et mobilise force caractères d’imprimerie et autres octets numériques; chacun y va de ses certitudes, de ses attentes et de ses prophéties quant aux tendances en cours et aux évolutions à venir. Dans ces temps de débats nécessaires mais certainement pas suffisants, pourquoi ne pas faire une pause, tout en restant dans l’environnement tauromachique, en évoquant le cheval et en particulier la corrida à cheval qui me semble préfigurer par certains côtés ce qui se profile pour la corrida à pied. De plus, pour ne pas rompre le lien, une digression sur le cheval de pique s’impose.
LE REJONEO
Par comparaison avec la corrida à pied il n’existe que peu d’écrits spécifiquement dédiés au rejoneo à part les comptes-rendus succincts et les quelques précis théoriques traitant de cette pratique. Cet état de fait regrettable est à rapprocher du nombre de revues traitant des pratiques équestres qui, elles, prolifèrent dans les rayons de la presse magazine.
N’oublions pas que la corrida telle que nous la connaissons était l’apanage de la noblesse, seule autorisée à combattre le taureau en référence à la noblesse d’armes; puis, au fil des siècles, l’ayuda a pris l’ascendant à l’heure où émergèrent les idées des Lumières et, partant, l’appropriation progressive des mécanismes démocratiques par la bourgeoisie et le peuple. De ces racines, quelques réminiscences demeurent, tel le costume des cavaliers lusitaniens et bien sûr les quadrilles de Haute Ecole esquissés au paseillo ; ces faits et gestes qui permettent l’affrontement rappellent combien le respect de l’histoire devrait contribuer à préserver cet art. Saluons la revue Planète Corrida qui ouvre ses pages à cette déclinaison de la corrida sous la plume avisée et curieuse de Freddy Porte rejoneador français aujourd’hui retiré. Saluons aussi, à l’occasion, la mémoire d’Antonio Cañero qui a codifié le rejoneo moderne sans oublier Alvaro Domecq Diez qui en a relancé plus tard la pratique.
Pour reprendre très modestement une trame devenue classique et sans prétendre à une analyse fine et définitive j’essaierai de brosser les traits prédominants de l’exercice contemporain de la corrida à cheval.
Le rejoneo est-il un sport ?
D’évidence oui puisqu’en l’espèce, la substance du savoir combattre se trouve dans le dressage du cheval et il n’est pas inutile de faire le lien avec les épreuves de ce type toujours inscrites aux championnats du monde et aux jeux olympiques dans la discipline équitation.
Une différence de taille reste à son avantage puisque le rejoneo témoigne de l’utilisation du dressage en situation réelle, à savoir le combat à mort du taureau avec les risques qui vont avec, pour la monture et son cavalier. Le cheval demeure d’autant plus un athlète de haut niveau garant de la sécurité de l’équipage.
Un sport de riche ?
Oui, c’est un sport et un sport de riche. Son exercice repose sur une écurie fournie (une centaine de chevaux pour Pablo Hermoso de Mendoza) dont les meilleurs éléments sont d’un prix très élevé ; le dressage est long et aléatoire, les risques de pertes sont réels (maladie, accident ou cornada). En regard d’un tel investissement humain et financier (installations, personnels, frais vétérinaires et de maréchalerie, harnachements, matériels de transport et frais d’entretien grèvent le budget) il n’existe que peu de courses pour en assurer l’amortissement économique. Cela explique le peu de rejoneadores en activité à haut niveau et leur engagement dans les autres activités que sont l’élevage, l’enseignement et les stages équestres, le négoce et, pour certains, le recours au mécénat.
Le rejoneo est-il un spectacle ?
Le cheval, la plus belle conquête de l’homme dit-on, fascine d’autant plus qu’il est devenu un des symboles du sport et des loisirs en perdant son rôle utilitaire. Les productions de Bartabas connaissent un succès international et les prestations servies par les conservatoires de Haute Ecole sont très appréciées du public ; ainsi le Cadre Noir de Saumur, l’Ecole Royale Andalouse, l’Ecole Espagnole de Vienne et l’Ecole Portugaise d’Art Equestre se produiront à l’été 2013 dans les arènes d’Arles. C’est un spectacle inédit à ne pas manquer qui sera organisé dans le cadre de « Marseille, capitale européenne de la culture ». Et à une moindre mesure citons certaines villes, en recherche d’une image, qui se dotent de patrouilles urbaines montées, la dernière en date, Toulouse….ou encore faisons référence aux salons du cheval qui sont toujours aussi courus.
De la beauté et de l’élégance...
L’esthétique l’emporte par la beauté et l’élégance de l’équipage dans sa présentation : côté monture, le pansage est toujours soigné avec la croupe souvent décorée au pochoir, la crinière et la queue peignées et nattées, les sabots graissés ; côté cavalier le traje corte particulièrement adapté ou le costume Louis XV avec tricornesignent l’appartenance à deux écoles différentes et donc à deux approches du rejoneo. Les déplacements du cheval au rythme des pas de Haute Ecole, toujours aux ordres mais jamais dans la contrainte, sont autant de marques du travail accompli : piaffer, levade, courbette au cite, quiebro et pirouette dans les cornes ne peuvent laisser indifférent. L’allégresse du rejoneador est à rapprocher de l’aisance, de la plénitude apparente du cheval et sans tomber dans une approche anthropomorphiste du plaisir il n’est pas incohérent de faire référence à ce cheval, Cagancho l’oiseau chanteur, qui « se laisse mener aveuglément, mais absorbe la violence du toro et la transforme en harmonie ». On retrouve dans l’arène un comportement identique au cheval qui, en confiance totale avec son cavalier, se livre à lui dès l’entrée sur un parcours de saut d’obstacles.
jusqu’à la perfection
L’aspect spectacle est aussi sublimé par l’apparition successive des chevaux au fil des suertes selon leurs propres aptitudes dans un souci d’efficacité et de perfection. Il valorise l’harmonie créée entre l’homme et le cheval et rend le combat accessible à un public plus large, plus jouisseur et plus familial ; preuve en est que ce type de programmation se fait souvent hors abonnement et parfois à un tarif différencié avec une fidélisation des connaisseurs et des amateurs telle l’attribution à guichets fermés du rejon d’or 2012 à Méjanes.
Le rejoneo est-il un rite ?
Oui, mais aujourd’hui moins que la corrida à pied : à l’évidence le rejoneo la précède dans le glissement progressif et peu contesté qui le fait pencher de plus en plus vers le spectacle. L’essence de ce mouvement repose dans la présence sur le sable du centaure, créature fascinante qui symbolise l’intelligence magnifiée par la symbiose de l’homme et de l’animal confrontée à la brutalité du fauve.
Oui, au-delà du combat à mort qui demeure la raison d’être de cette manifestation et de la remémoration de ses racines historiques, il magnifie aussi l’évocation du travail au campo avec la maîtrise de l’art équestre appliqué par le mayoral et le ganadero dans le maniement du bétail brave : tout se fait essentiellement par « l’assiette » et les jambes ces aides naturelles qui permettent en particulier la pose de banderilles à deux mains.
Non, parce que moult pratiques forcent jusque dans la démesure la recherche du spectaculaire : le taureau n’est plus que le faire valoir du matador, le prétexte à la prestation offerte? Le trapio laisse trop souvent à désirer : les taureaux sont bas et courts, parfois nobles mais jamais encastés; le taureau n’est plus intègre : pour protéger la monture le barbier a souvent la main très lourde d’où un ressenti de ne voir qu’un objet mobile de moins en moins cornu devenu le jouet du cavalier. Dans le déroulement de la lidia la pose de banderilles jusqu’à plus soif engendre l’ennui et le trop plein de trophées rajoute exagérément au côté tremendiste du spectacle.
Un écart demeure encore entre les deux pratiques au regard de cette évolution qui devient perversion de la sincérité attendue du combat; la corrida mixte permet de confronter le caractère superficiel ressenti dans le combat équestre aux enjeux du piéton qui engage en principe loyalement sa santé et sa vie ; du ludique on passe à l’émotion existentielle.
LE CHEVAL DE PIQUE
En évitant les débats sur la forme de la vara, le sens de la pique à l’endroit ou à l’envers et la pose dans le morillo ou ailleurs, s’intéresser au cheval n’est pas déplacé. Ce cheval véhicule un cavalier ayant une double ascendance, à la fois réminiscence de l’aristocrate combattant le taureau à cheval mais aussi image de l’éleveur et de son mayoral coursant le troupeau garrocha en main; cette noble origine autorise le picador à porter l’or sur son costume à l’égal de son maestro.
Règles de l’art
Cela suffit, selon moi, à demander un bon niveau d’exigence (pique à l’endroit posée avant le contact et à l’arrière du morillo cela va de soi !) à l’heure où le tercio de piques semble en déshérence. Quel plaisir (plutôt rare) d’assister à un tercio de piques exécuté dans les règles et réussi ! Au regard des aficionados et du public moins averti mais qui sait apprécier, il y a là la reconnaissance de la compétence, au premier chef, du picador. Mais n’oublions pas la cuadrilla qui a un rôle essentiel dans la mise en suerte du taureau et la reconnaissance des qualités ou des défauts de l’animal testé dans sa bravoure.
Un cheval, quel cheval ?
Pour la période moderne, le chemin parcouru est immense depuis les haridelles exposées et sacrifiées sur le sable (il y aurait eu quelques spécimens ayant participé à plusieurs corridas et même à une temporada complète, légende ou réalité? ou excellence du cavalier ? Les cartes postales anciennes ouvrent le débat). Puis les lourds chevaux de trait caparaçonnés ont longtemps constitué un véritable mur où sont venus se fracasser les taureaux. De nos jours une cavalerie allégée parfois légère constituée de « chevaux de sang » (ce qui est contesté à tort par certains ; en effet ce n’est pas le choc traumatique subi par le taureau qui permet d’évaluer sa bravoure) semble s’imposer, ce qui à l’avantage de présenter des montures préparées à ce combat ; elle se distingue par sa maniabilité qui permet aussi d’évaluer les qualités du cavalier et ses lacunes éventuelles. Le cheval de pique doit être un athlète : malgré le poids du picador (ça change), celui du plastron et du harnachement (70 kg maximum pour le caparaçon selon le règlement) il doit être mobile et maniable pour être bien présenté à l’impact et à l’accompagnement de la poussée, certains taureaux ne sont-ils pas adeptes du contre-pied?
Profession Picador
Le picador ne doit plus ne faire que le poids ! Il doit toréer : les prestations remarquées d’un Tito Sandoval ou d’un Gabin Rehabi associés à une cavalerie à la hauteur préfigurent la renaissance du toreo à cheval : poser des piques n’est pas infliger des piques ; savoir présenter le cheval de trois quart face à l’impact, gérer la poussée pour juger la bravoure, préparer la sortie du fauve sont des actes essentiels qui exigent des qualités de bon cavalier et de posséder le sens de la suerte. Tabarly, le cheval de la cavalerie Bonijol pèse 550 kg et avec le caparaçon, le harnachement et le picador, l'équipage peut atteindre les 700 kgs : qui parle de cavalerie trop légère ? Assurer la mobilité et la maniabilité d’un ensemble approchant la tonne n’est pas à la portée de tous les picadors présents dans les arènes. Fournir aux cuadrillas une cavalerie adaptée et préparée doit être la préoccupation des organisateurs.
LES AUTRES ÉQUIDÉS
Au paseíllo
Datée aussi, mais en accord avec l’affrontement qui va se produire dans le cirque, est l’ouverture du paseillo par les alguaciles montés sur des chevaux de race; quelle belle image lorsqu’il y a harmonie dans les allures présentées par des chevaux bien en appui sur la bride, « calme(s), en avant, droit(s) » selon la maxime du Général Alexis L’Hotte. Malheureusement ce n’est pas souvent le cas.
Pour l’arrastre… ou la vuelta
Le cheval dans l’arène ce sont aussi les trains d’arrastre, constitués de mules dans le Sud Ouest et de traits bretons ou comtois en Sud Est, dont la présentation soignée se doit d’être à la hauteur de l’hommage qui sera rendu à un taureau noble et brave lorsqu’il méritera un tour d’honneur et les applaudissements du public.
En tauromachie le cheval n’est pas un accessoire il occupe toute sa place et mérite d’être observé et apprécié à l’aune du rôle que l’homme lui attribue.
Dernière minute : Diego Ventura, en quête de la première place vampirisée depuis des lustres par Pablo Hermoso de Mendoza, a tenté à l’automne dernier une encerrona à Huelva devant des taureaux de six encastes différents, dont un Pablo Romero et un Miura, avec des fortunes diverses! Affaire à suivre : puisqu’il a osé sortir du champ des sempiternels Murube, ce pourrait être l’occasion de relancer l’intérêt des aficionados pour une pratique tauromachique par ailleurs fort estimable.