L'AUROCHS EN ESPAGNE
Au fur et à mesure, mais de manière de plus en plus intensive à partir du milieu du XVIIIe siècle, un élevage systématiquement dirigé s'est organisé, par sélection puis par croisements divers, en fonction des résultats recherchés pour les jeux taurins : ceux des villes et villages en fête [cf. el toro de la Vega], ou ceux des spectacles organisés, offerts ou payants. Et c'est là que tout va se compliquer… Mais nous n’en sommes pas là ! Voyons d’abord la question des origines : quel est le rapport entre l’aurochs et le toro de combat ?

A l'origine, l'aurochs est grand : dans les 2 mètres au garrot, d'après les ossements fossiles. D'après les peintures et les récits, on le suppose véloce, farouche, avec un avant-train puissant (aleonado, de type 'lion', selon l'expression espagnole), et ayant tendance à fuir l'homme… comme tous les animaux sauvages, et plus encore les herbivores qui constituent la proie des félins. Son pelage typique serait negro listón (noir avec une raie, dite 'listel', plus claire le long de l'épine dorsale) ou castaño oscuro (châtain foncé). Il vit en hardes essentiellement composées de vaches : il semble que la règle soit un groupe de base d'origine matriarcale, d'une vingtaine de têtes au plus, associant les femelles et les jeunes, avec un mâle dominant ; les autres mâles adultes évoluant en périphérie par groupes de 5 à 15, et les vieux mâles solitaires étant rejetés plus loin. Cette organisation joue sur de vastes espaces, hors de la saison de reproduction où les mâles tentent de rejoindre les femelles, ce qui engendre des luttes pour la dominance.
La totalité des bovins domestiques actuels dérive de l'aurochs, bos primigenius. La forme domestiquée du bos primigenius primigenius, l’aurochs d'Europe et du Proche-Orient, est le bos taurus. D’après les études archéologiques et archéozoologiques, son centre de domestication se situe sur le plateau anatolien et jusqu’en Syrie, où l’on a retrouvé quelques foyers de domestication datant tous de quelque 8.000 ans avant JC : l’époque de la "révolution néolithique", caractérisée par le passage de la chasse-cueillette à l'élevage-culture. Les données génétiques des bos modernes vont dans ce même sens ; et peut-être aurons-nous un jour des données paléogénétiques suffisantes, réalisées à partir d’ossements archéologiques pour confirmer pleinement la chose : si on arrive à retrouver de plus en plus d’ADN dans les os de l’homme de Neandertal, pourquoi pas chez le bos !
La présence des aurochs en Espagne est attestée par les ossements archéologiques. Quant aux peintures du paléolithique supérieur (autour de -15.000 ans), elles attestent aussi leur importance pour ses habitants à cette époque. On est donc certain que des hardes d'aurochs erraient dans la péninsule ibérique à l'état sauvage… et que l’homme les a rencontrés. Puisqu’ils ne pouvaient certainement pas traverser Gibraltar à la nage, on pense qu’ils seraient entrés naturellement dans la péninsule par les Pyrénées. Ces hardes sont-elles à la source de nos toros bravos ? Ce n’est pas impossible dans cette péninsule ibérique coincée entre Océan, Méditerranée et Pyrénées qui forme une véritable niche écologique. Mais est-ce la réalité ?
Continuité culturelle : plus tard, les Ibères - arrivés aux approches de -1.000 - voueront au taureau un véritable culte, comme l'ensemble des civilisations méditerranéennes (Crète, Thessalie, Égypte et tout le Proche-Orient ancien). A ce sujet, Tite Live raconte que les cavaliers ibériques aimaient défier à cheval les taureaux sauvages. On connaît d'ailleurs un exemple historique fameux d'utilisation par les Ibères de taureaux plus ou moins sauvages [pas forcément des aurochs, on ne sait pas !] dans des batailles militaires – étaient-ils déjà manœuvrés grâce à des "mansos" ?... - : en - 228, le fameux guerrier ibère Orisón provoqua une nuit de terreur dans le camp du carthaginois Amílcar Barca (de barak qui signifie foudre en phénicien-punique), installé à Héliké (Elche de la Sierra - Albacete), en lançant contre lui des taureaux 'emboulés' avec des torches avant de porter son attaque ; un combat dans lequel Amílcar trouva la mort. Ce pourrait être l'origine des actuels "toros de fuego"… à moins que ce ne soit l'inverse !
Quel est donc le rapport entre l’aurochs et le toro de combat ? Comme nous ne pourrons jamais comparer le toro bravo avec des aurochs espagnols encore vivants. Il nous faut trouver d’autres voies.
Prochain article : LE TORO BRAVO ET L'AUROCHS ESPAGNOL
* Prêtre, aumonier des arènes de Nîmes, aficionado practico, Jacques TEISSIER a réalisé depuis plus de 10 ans un considérable travail de recherche dédié aux élevages et aux encastes de toros bravos, travail que les aficionados, les journalistes taurins, les professionnels de l'arène, les éleveurs, ainsi que les scientifiques peuvent découvrir sur son remarquable site: TORO–GENESE.