RAISON ET SENTIMENTS

Publié le par Charles CREPIN

RAISON ET SENTIMENTS

Échanges entendus l’autre jour lors d’une conversation entre aficionados avertis, donc exigeants :

A propos de la chute de fréquentation des corridas dans les grandes arènes : même le Juli ne fait plus le plein. Une crise qui s’ajoute aux attaques sournoises contre tous les symboles de la tauromachie, et autres mauvaises nouvelles. Nuages noirs sur l’horizon !

A propos, aussi, des cartels de la prochaine Feria de Pentecôte : des figuras, ça, il y en a. Mais côté toros, hum ! ça va « servir »... Rien pour les aficionados. Pas un geste de l’empresa qui sait bien pourtant ce qu’ils attendent… Le signal est clair. Et donc, pour la Pentecôte, ils iront à Vic, chaque année plus nombreux…

Choc des cultures où s’affrontent chez les mêmes, d’un côté l’incontournable exigence du toro-toro et de la pure aficion, et de l’autre, la crainte de voir se dépeupler les gradins, et donc l’imminence d’un péril annoncé. Difficulté de concilier des exigences contradictoires : Raison et sentiments, ou si on préfère, le cœur et la raison. D’un côté, les sentiments, c’est à dire la passion pure et ardente et la satisfaction exclusive des attentes personnelles, mais aussi les risques d’échec et de trahison. Et de l’autre, simplement : la raison. Dans son roman, Jane Austen a concilié ces oppositions avec délicatesse et leur a inventé une fin heureuse et attendrissante. Rapporté à notre passion d’aficionado, le scénario est autrement plus complexe.

Dans ses plus belles heures, la corrida a été portée par des hommes au talent exceptionnel et novateur, capables d’attirer les foules et de remplir les « étagères » : Ordoñez, El Cordobés, Litri-Camino, Paco Ojeda (souvent imité, jamais égalé), Chamaco, et plus près de nous José Tomás (et sa corrida « parfaite »)… Au fil du temps, c’est sûr, d’autres talents singuliers viendront à nouveau créer l’événement, avec des faenas d’anthologie, de celles qui restent gravées dans les mémoires, et dont on parlera des années durant. Et cette couronne vivante, signe des grands jours, viendra, comme avant, coiffer la cime de l’amphithéâtre.

Le problème est ailleurs. Remarquez au passage que l’affluence sur les gradins doit généralement beaucoup à un public dépassant largement le cercle de l’aficion. Un public festif dont le flot est grossi par le touriste ordinaire fasciné par les ors, les triomphes et les clameurs... mais pas par le toro-toro.  Il ne vous a pas échappé aussi que les grands triomphes gravés dans les mémoires et dans les plus belles pages de la corrida ont de façon constante opposé des toreros célèbres à un bétail souvent juste de caste, d’armure et de force. Les évènements exceptionnels comme l’inoubliable anthologie de Nimeño face aux Guardiola sont plus rares. Dommage, mais c’est comme ça !

Par conséquent, le dilemme est celui-ci : Céret est à la fois un exemple et un cap intangible vers l’avenir de la corrida, grâce à son toro de premier tiers brave et fort, premier critère du choix programmatique de l’ADAC. Ici comme à Vic, l’aficionado vit une passion confiante qu’on espère durable, jamais trahie par des calculs mercantiles. Mais remplit-on facilement les grandes arènes avec le toro de Céret ?

L’alternative tient dans ce mot : équilibre. En contrepoint de la pure aficion, une gestion possible des arènes « généralistes » passe durablement par la taquilla avec des cartels luxueux et les triomphes plus faciles qui vont avec. D’un autre côté, sans parler de la référence madrilène et du sérieux traditionnel de Bilbao ou Pamplona, des grandes arènes françaises assument l’impérieuse nécessité de cet équilibre, affichant aussi dans leurs cartels des toros bien présentés qui ne font pas que « servir », et certaines figuras qui acceptent de les affronter. Ce n’est pas facile, c’est possible. Et les grandes arènes qui n'ont pas encore  initié cette démarche devraient s'en inspirer

A l’écart des oppositions manichéennes et des querelles de chapelles, cet enjeu capital pour l’avenir de la corrida devrait d’évidence être compris de tous. 

 

Publié dans Chroniques

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
M
Il ne manque pas d'exemples dans le monde ou une "entreprise" a été sauvée par une minorité.<br /> Abandonner la corrida à ce "public festif fasciné par les ors et les clameurs" et trop souvent uniquement préoccupé par le côté "people" (sur invitation bien sûr) dont Nîmes s'est fait la spécialité mène inexorablement à la mort de la Fiesta Brava .C'est l'authenticité et ceux qui la soutiennent contre vents et marées qui la sauveront et lui donneront le droit d'exister . Ne pas céder au "club des 5 " serait déjà un bon début qui conduirait à voir , dans des arènes archi combles , certaines figuras devant des Pedraza de Yeltes (de Dax ou même d'Arles).Après tout ,c'est leur encaste favori . Et puis, rendons nous à l'évidence, il existe deux types de courses comme il y a deux types de cinéma,de musique.... qui ont peu de chances de réconcilier tous les aficionados . A.Lamelas,Perez Mota, C.Valencia ,Escribano...(D.Aguirre,Victorino , Valdellan, Saltillo... ) Vs Juli, Morante, Ponce ...(Domecq) et les "faire-valoir " qu'ils transportent partout avec eux . Mais qui a raison ? C'est la vie et l'avenir qui nous le dira .Mais faut-il qu'il y en ait qui aient raison ? En attendant ,rendez vous à Vic...... mais pas tous, hein !<br /> manolo
Répondre
P
"Raison et sentiments, ou si on préfère, le cœur et la raison." Mais qui a raison? Ou bien qui n'a pas raison? Aurait tort celui qui exige une corrida intègre, avec tous les éléments réunis pour qu'elle ne soit plus vilipendée par les "amis des bêtes", - tiens, les amis de Garrigues ne parlent jamais des dizaines de milliers de toutous abandonnés chaque année sur la route des vacances, - ou celui qui se satisfait des ors, des paillettes, des plumes, et du medio toro, et qui applaudit le destoreo qu'il considère comme art, alors que c'est jute l'art de tromper les gogos? <br /> Pour ce qui me concerne, j'estime que nous ne devons pas transiger avec les règles de l'authenticité du combat: trapio, fiereza, armures, poder, pour le toro, toreo sincère, engagé, croisé, pour le torero, respect scrupuleux des règles - et du public - attribuées aux subalternes: non aux peones tricheurs et mandiants, basta aux picadors assassins aux ordres des maitres.... Sinon, les nuages noirs vont grossir plus vite encore qu'on peut le craindre
Répondre
V
D'accord avec Pedrito pour ne pas transiger sur les règles de l'authenticité... Mais le propos de l'article n'oppose pas raison et sentiments.
V
La raison n'est pas celle qu'on a contre les autres. Aficionado, il est très facile de partager votre profession de foi. Et ensuite ? On jette le reste et les grandes arènes, et la corrida est sauvée par les 5000 aficionados qui voyagent en terres taurines ? Où est la raison ?
J
Si vous me permettez et en quelques mots, je puis vous raconter la dernière très grande faena que j'ai vue. Le 17 août 1982, arènes de Dax. Paquirri, El Yiyo et Nimeno II allaient affronter de somptueux Jandilla, très bien armés, mais de vraies "carnes" en piste. Des toros avisés, retords, là pour tuer et refusant les "voyages à vide". Décourageants pour les vedettes. Paquirri a refusé de voir son premier toro, avec des cornes dans les yeux et des yeux au bout des cornes. Il l'assassinat. S'en suivit une altercation haut de gamme entre le matador et le président de la commission taurine dans le callejon. Le Yiyo et Nimeno ont rapidement tout compris, ils se sont arrimés à ces véritables toros de combat, pour un triomphe majuscule (8 oreilles et 3 queues pour les trois, si je me souviens bien). Arrive le quatrième toro pour Paquirri. Le pire. La pour tuer où s'enfuir et se réfugier en querencia. Et c'est là que le miracle se produisit. Paquirri alla le chercher en se mettant en réel danger, l'amena doucement, en lui redonnant confiance, pour le toréer au centre de la piste, en se croisant de façon incroyable. S'oubliant lui-même, le maestro s'est mis entièrement au service de l'animal, pour nous révéler un toro exceptionnel, comme on n'en voit plus, hélas. Une entière, deux oreilles et la queue.<br /> Avec une très grande modestie, j'ai eu l'émotion de remettre à Paquirri le prix de la meilleure faena 1982 lors de la Féria de Dax 1983. Plus tard enfin, le 27 septembre 1984, je me rendais rapidement à Pozoblanco pour constater le désastre de la veille. Je connaissais les trois matadors. Ils ne sont plus et ils nous regardent de là-haut.<br /> Je sais que l'art et le rite de la corrida sont très difficiles. Réservés à des êtres exceptionnels, tel Paquirri, pour mettre en valeur le véritable toro de combat. Mais par pitié, rendez nous les Jandilla de Dax 1982, pour une émotion intenable, face à ces seigneurs de la création.<br /> Merci de m'avoir lu. Et que vive la corrida, la vraie…
Répondre
V
Récemment, Antonio Purroy affirmait qu'il est possible de récupérer le fond de bravoure qui dort dans la caste Domecq, à condition de le vouloir. N'est-ce pas le défi qu'a relevé avec succès Pedraza de Yeltes ?
J
L'avenir de la corrida est en danger ? C'est normal et logique, avec un toro "apprivoisé" qui n'a plus rien d'un toro de combat, la pratique dominante de l'afeitado et des figuras qui pratiquent avec clinquant un toreo de profil.<br /> Le petit business minable et de positionnement social de la corrida prépare sa fin, si l'on n'y prend garde.<br /> Je vous invite à relire la chronique d'Antonio Lorca "Le toro va tuer la corrida", Journal El Païs, 24 juin 2009, traduite par Courrier International ( http://www.courrierinternational.com/article/2009/06/25/le-toro-va-tuer-la-corrida ).<br /> J'ai fait beaucoup trop de corridas, de novilladas dures et de spectacles populaires andalous dans les années 70-2000, pour ne pas continuer à aller voir ces simulacres de corrida. Je préfère aller rendre visite le plus souvent possible à ces seigneurs de la création que sont les toros de combat limpios, dans les ganaderias andalouses ou ailleurs.<br /> J'aimerais bien participer à la renaissance de la corrida. Mais sachons alors sortir des salons chics où l'on cause avec distinction.
Répondre
V
Oui. Surtout qu'à cette époque, Vingtpasses a précisément publié cet article de Lorca... Voir le lien<br /> http://www.vingtpasses.com/article-33734130.html
E
Il ne vous a pas échappé aussi que les grands triomphes gravés dans les mémoires et dans les plus belles pages de la corrida ont de façon constante opposé des toreros célèbres à un bétail souvent juste de caste, d’armure et de force. Les évènements exceptionnels comme l’inoubliable anthologie de Nimeño face aux Guardiola sont plus rares. Dommage, mais c’est comme ça !<br /> <br /> Pas d'accord.... les pseudos triomphes décidés par la presse ou l'empresa, oui... mais pour les réels triomphes que j'ai vécu, c'était devant de grands toros<br /> exemple avec Paco Ojeda : à l'époque les jandilla étaient très encastés !
Répondre