Los Pueblos
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Avant propos de Joé Gabourdes
À contre-courant, remonte la rivière. Il y a une quarantaine d’années, jeune adolescent, j'allais dans le (mur ) des amphi assister aux corridas avec des copains citadins nîmois. J'ai eu la chance à différentes reprises de partager la corrida avec un aficionado à los Toros de Manduel, un paysan qui par ses connaissances de l'animal et sa convivialité (ah !! son saucisson et son vin rouge ) m'a laissé un grand souvenir.
C'est en pensant à lui que je vous propose la traduction de ce remarquable article paru il y a quelques jours dans les lignes de Mundotoro.
Cet article met en évidence le rôle indispensable de la base populaire et rurale de la tauromachie, l'autre base de la pyramide me semble être bien sûr le campo.
Au sommet de la pyramide on retrouve la tauromachie éternelle celle ou l'homme se grandit dans un combat éthique et respectueux du Toro avec au final la création d'une œuvre éphémère. Mais si demain on laisse les pueblos et les campos disparaître, le sommet de la pyramide s'effondrera comme à Barcelone...
PS : merci à Claire et Marie pour leur traduction
Los Pueblos - Les villages
Sur l’année 2015 l’Espagne a organisé 358 spectacles dans des arènes de troisième catégorie, de janvier à août. Selon les statistiques réunies à ce jour pour 2016, 211 ont été organisés. Cette année, la réduction de la tauromachie à pied dans le cadre de petites agglomérations sera encore plus importante. Là où il n’était pas organisé d’encierros ou de fêtes populaires en plus des corridas, ces dernières ont disparus. Peut-être est-ce là l’alarme et la clé de la dérive du toreo. Dans le toreo à pied des villages, dans les arènes des petites villes, démolies pour en faire ces monstres sans intérêt et loin des gens, dans les sièges sociaux des lobbyings politiques/économiques. Des lieux globalisés de ciments gris aussi inutiles que les aéroports mégalomanes et les piscines couvertes olympiques dans des villages de cent habitants qui ne savent pas nager. Une mondialisation stratégique dont souffre tout ce qui touche au monde rural. Parce qu’il ne s’agit pas d’une souffrance spécifique au toreo.
Nous sommes en train d’assister au final d’une stratégie de désertion des communautés rurales, des activités tournées vers la nature, de la biodiversité et de la pluralité culturelle qui existait dans les campagnes et les villages. Une stratégie dirigée vers la rentabilité économique qui tente de réunifier et industrialiser la production de 80% de notre territoire (zone rurale d’Espagne) dénaturalisant et vidant ses agglomérations. Comment ? En premier lieu en éliminant les services et les droits fondamentaux comme l’accès aux hôpitaux, supprimant écoles, assistance aux naissances, centres commerciaux et commerces de proximité, pharmacies… laissant les villes devenir les lieux exclusifs d’achat de ces ressources primaires. Une forme brutale d’exiger l’exode rural. Aujourd’hui on exigence des moyens administratifs, sanitaires et productifs que les habitants du monde rural ne pourront pas respecter. On légifère contre les pratiques naturelles qui ont formé et forment encore les espaces écologiques, comme la chasse et la pêche sous toutes leurs formes, l’élevage du porc et son traditionnel abattage, contre des activités essentielles pour le développement des rapaces comme fauconnerie, les encierros et fêtes populaires taurines dans les rues ou au campo. Deux mesures qui ont globalisé, dans le sens le plus urbain du terme, les espagnols, les privant de leur pluralité et niant la biodiversité du pays, puisqu’il n’existe plus de biodiversité sans pluralisme culturel.
J’insiste : nous ne sommes pas face à un problème de toros, mais un problème de tous, qui a dérivé vers un conflit humain, social et politique. Mais la diversité culturelle, depuis les châteaux humains catalans jusqu’au toro de la Vega n’est pas la cause des conflits. Ce sont les tentatives de les supprimer de la carte de la pluralité qui crée le problème. Et elles le créent parce que nous sommes en train d’assister à l’exaltation morale, légale et normative de ce qui nous est « propre », comme « unique valeur juste », comme l’unique vérité. Les affrontements sociaux ne se produisent pas à cause d’un toro dans les rues, pour une corrida, pour la chasse au lièvre ou pour la production d’une cruche de lait de forme traditionnelle. Ils ont lieu lorsque quelqu’un décide de les réfuter ou de les supprimer avec pour argument de base une culture qui se veut unique et supérieur, une morale supérieure et unique.
Il y a un intérêt dans le fait de créer ce conflit de façon stratégique et structurée, en y donnant immédiatement la solution : notre écrasement.
Et pour l’éviter nous ne pouvons nous battre seuls. La tauromachie de la ville ne possède pas de terreau social. Nous avons vidé le côté « soleil » des arènes. Dévier le toreo vers la ville et limiter son potentiel aux grandes ferias a été notre plus grande erreur. Parce qu’en ville, la globalisation/ mondialisation d’éthiques, morales, actions, us et coutumes fait qu’en chaque individu la priorité n’est pas donnée au toreo. Il ne luttera pour lui. En ville, l’animalisme et la passion pour les animaux de compagnie ont gagné la bataille il y a bien longtemps. A la campagne, dans le monde rural, il y aura bien une lutte. Non pas par aficion mais par attachement culturel, traditionnel, parce que c’est un signe d’identité, une nécessité vitale, par écologisme, par nature. Voilà ce qu’est la culture. Nous ne l’avons pas compris ainsi. Nous avons passé des années à croire qu’un tableau de Picasso ou un de Barcelo est notre unique apport culturel. 50% des espagnols ne savent pas qui fut Picasso, 80% des jeunes s’en moquent et Barcelo ne peut pas lutter contre le Rhum qui porte son nom. Mais nous insistons dans cet élitisme urbain, dans ce concept de culture pour minorités, argument exclusif qui a nui à la tauromachie en la privant des arguments de culture populaire, rurale, du campo.
Selon moi, le toreo à pied en ville ne peut sauver la tauromachie elle-même et je doute qu’il puisse seulement la soutenir. Il dérive toujours vers cet élitisme argumentaire si éloigné de la réalité et du problème qu’il devient la première pierre sur le chemin de la bataille. Cet élitisme ne sert pas de noyau d’union envers ses alliés naturels dans ce conflit : les gens du campo, du monde rural, ceux de la pêche, de la chasse… les petits éleveurs, les producteurs de viande ou de lait, de Gallice ou Catalogne, de Castille Léon ou Andalousie. Une armée active de millions d’espagnols prêts à faire front commun.
La tauromachie en ville est liée et gérée au hasard d’une politique contraire à sa propre essence. C’est seulement ainsi que l’on peut comprendre, par exemple, que Las Ventas en ai jamais pu être le centre géostratégique. Centre de divulgation écologique, économique, culturel, moderne, actif, médiatique. En ville le bien-être animal, l’animalisme et le marché des animaux domestiques bénéficient d’une empreinte si routinière qu’elle fait partie du mode de vie. La campagne doit aller au secours de la ville. Le monde rural d’un bloc : tauromachie, chasse, pêche, agriculteurs, apiculteurs, aviculteurs, petits fermiers, les milliers de producteurs de viande et de lait… des millions d’espagnols qui font face au même problème que nous. Leur disparition venant du même ennemi.
Il existe depuis des décennies une stratégie réelle, dont la finalité est la concentration en ville pour obtenir un marché plus concentré, important et global. Concentration qui signifie la fin de la diversité, la substitution plurielle des relations entre hommes, animaux, environnement et ressources, au profit d’une unique relation de marché. Sous la même bannière, tous ensemble, nous formons une armée sociale capable de réclamer un changement substantiel, un respect, une liberté. Sous ce drapeau nous serons à couvert. En restant ce que nous sommes. Un de plus parmi la biodiversité de ce pays. Il y a dehors une armée qui s’avance. Abandonnons notre discours intellectuel. Notre vision élitiste d’êtres supérieurs face au peuple. Ils sont la masse sociale dont nous manquons. Parlons donc leur langage. Revenons à l’odeur de la terre, de la poussière, du fleuve. Retournons à notre culture commune. Laissons Picasso et sa grandeur aux musées et à l’histoire. Notre tableau est la peau de toro appelée Espagne !
C.R.V Madrid
Lire l'article original sur le site Mundotoro.com :