Avenir de la corrida, « I have a dream »...

Publié le par Dominique VALMARY

 

D’un côté, les dérives de la corrida « moderne », la pression économique, la dérégulation de ce micro-marché, la recherche d’optimisation des coûts (on en parle beaucoup) et de profits suffisants, voire plus confortables, les appels d’offres de gestion d’arènes déclarés « desiertos », et la crise des taquillas.

 Et de l’autre, les conséquences naturelles de tout ceci : le clivage sous-jacent des doctrines, des chapelles, les stratégies possibles, et leur corollaire de frustrations, de luttes intestines ou internes, les espaces laissés  vides sur les gradins; crise ou dépit ?  G10, empresas, UVTF, éleveurs, aficionados, antis taurins, lobbies, associations etc... autant de groupes aux intérêts divergeants, organisés ou non, luttant pour ne pas perdre « plus » : l’abîme paraît vertigineux. La passion et l’espoir peuvent-ils transcender les affres de nos querelles, de nos doutes, de nos angoisses ? Les quelques temps forts de la dernière temporada sont-ils comme un signal, l’aube d’un renouveau salvateur, une balle jetée par un duende providentiel qu’il suffise de reprendre au bond pour arrêter la course mortifère de cette débâcle ?

 Dominique VALMARY dresse un état des lieux lucide de cette misère tauromachique et des difficultés éprouvées par ses principaux acteurs en mal de cohésion, entraînés parfois malgré eux dans de vains antagonismes, et le risque de pertes irréparables. Au fil d’un raisonnement structuré, il ébauche des pistes qui, en l’état, pourraient  figurer la quête d'un Saint Graal taurin, sauf que les acteur en présence ne sont pas les Chevaliers de la Table Ronde. La foi peut elle vraiment soulever les montagnes ? En vain, je le crains si elle n'est pas portée par une autorité équilibrée et légitime capable de rassembler, comme le suggère Dominique Valmary dont la reflexion n'en est que plus enrichissante. Nous verrons bien.

 C.C.

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Avenir de la corrida, « I have a dream »

La conférence donnée par Pierre Traimond  au festival Mexico Aztecas Y Toreros si elle traitait de l’avenir de la corrida aux Amériques et abordait les aspects anthropologiques et sociaux peu souvent évoqués notamment les enjeux entre les communautés anglo-saxonne, latino, hispanique et indienne, a aussi dressé un constat sans concession de l’économie de notre passion.

Elle est venue conforter les réflexions que je me faisais en mon fors intérieur sans oser en parler, tant le monde gravitant autour de la tauromachie est plein de « certitudes de l’instant », certitudes pouvant ne durer que «ce que vivent les roses : l’espace d’un matin» disait Malherbe; alors je me lance avec ma propre certitude celle de ne pas faire le buzz et celle-là me semble avoir la durée devant elle…

Les derniers mois ont été riches en informations allant toutes dans le même sens et attestant des capacités d’adaptation aux conditions imposées par la crise économique qu’ont montrées les professionnels; en effet chaque microcosme adopte les stratégies qu’il pense les meilleures pour passer entre les gouttes avec le moins possible de concessions ; quelques exemples:

Le « G10 » s’est constitué en une machine de guerre, qui sous le couvert estimable de participer à la gestion des droits d’image, a élargi ses compétences à la répartition des contrats entre ses membres pesant encore plus sur les empresas et s’affranchissant pour partie des apoderados au détriment des autres toreros et autres ganaderos.

En retour les villes taurines françaises ont essayé de contrer les «figures imposées» en mettant un coup d’arrêt à l’inflation des honoraires et il sera intéressant d’en évaluer l’impact à l’issue de la présente temporada.

Sous le couvert d’un rattachement stratégique de la corrida au Ministère de la Culture, le mundillo ibérique ne visait en fait que le taux réduit de TVA dont on peut douter de l’effet réel sur les prix des entrées  à l’aune de l’expérience française dans le domaine de la restauration. De toute façon en temps de crise on ne baisse pas les recettes fiscales sinon cela se saurait !

La pression économique est telle, notamment en Espagne, que les règles jusque là établies sont remises en cause ; qui parle de dérégulation ? La grille d’honoraires fixée par la convention collective tend à devenir non opposable dans son application devant la pression du marché. Des promotions étonnantes sur les prix sont offertes même à Madrid. Le recours à des encastes jusque là délaissées, les carteles plus toristes et la prolifération d’encerronas et autres mano à mano cachent en réalité la recherche d’un coût moindre.

Les appels d’offres pour la gestion d’arènes attirent de moins en moins de concurrence, certains sont même déclarés disiertos et les collectivités jusque là gestionnaires en régie ont tendance à se retirer devant le risque économique encouru.

Force est de constater aussi l’abîme qui s’est creusé entre le versant financier représenté par les professionnels et d’autre part l’aficion ce qui génère les frustrations de plus en plus exprimées par les passionnés dans les tertulias, les reseñas et autres articles ou blogs. Quant à lui, le public a tendance « à voter avec ses pieds » l’argument de la crise ayant bon dos même s’il est bien réel….

Le monde de la corrida est atomisé (pour ne pas dire explosé) en autant de groupes plus ou moins autonomes et plus ou moins organisés qui se côtoient et se fréquentent sans se rencontrer et, « le duende aidant », s’ajustent plutôt plus en temps normal, plutôt moins quand les temps deviennent difficiles.

Sans apparaître comme le pessimiste de circonstance il me semble que les enjeux actuels imposeraient une réaction collective visant à arrêter une stratégie de moyen terme dépassant le contexte réducteur de la crise actuelle : la corrida ne peut s’abstraire d’une certaine modernité  en matière d’organisation et de gestion. Comme on le voit dans le sport professionnel l’intérêt économique n’est bien sûr pas à négliger mais  il y a aussi à introduire un zeste de régulation concertée et d’équilibre des pouvoirs et contre pouvoirs.

Comment peut-on concevoir une activité économique fondée sur la vente de services produisant un chiffre d’affaire conséquent qui n’effectue ni étude de marché, ni analyse des attentes des partenaires et des clients, pratique un lobbying désordonné et n’engage pas la moindre prospective?   

La corrida a su développer dans le passé le volet spectacle de sa pratique et cela reste la tendance actuelle (peut être à l’excès mais pourquoi pas si elle n’oublie pas ses fondamentaux) ; cela lui donne l’obligation de construire une approche stratégique concertée avec toutes ses composantes : toreros, apoderados, empresas, ganaderos, collectivités locales et aficionados. Ce n’est pas le cas. Or rares sont les activités sociales qui ne se sont pas organisées soit de leur propre initiative soit à la demande des Etats ; la corrida fait exception ce qui n’est pas à son avantage. Le sport en se professionnalisant et en devenant une activité économique à part entière (les grands clubs européens de football font appel aux marchés financiers ne l’oublions pas) a su préserver les structures fédérant les acteurs de deux mondes, l’un professionnel l’autre amateur, en faisant cohabiter les sociétés à objet sportif, les associations à but non lucratif et les collectivités locales lesquelles financent généreusement les dites sociétés commerciales. A l’heure où il aspire à la reconnaissance universelle de son activité par l’intermédiaire de l’UNESCO le mundillo devrait réfléchir à un tel modèle.

Par l’entremise de ce type de structures  les activités obtiennent une légitimité indiscutable en devenant les interlocuteurs des Ministères de tutelle; le contre-exemple  est affiché lorsque la représentation de la corrida est réduite à quelques figuras auto-désignées… il est utile de rappeler que dans ce type d’architecture l’Etat délègue après agrément et par convention une partie de ses prérogatives d’ordre public au monde considéré qui dès lors agit pour le compte de celui-ci et sous son contrôle.  Une telle organisation, classique et qui a fait ses preuves, repose sur un outil de type fédératif au plan international représentant les fédérations nationales avec participation par collèges des divers acteurs, pour notre activité les clubs taurins représentant les aficionados, les mandataires des professionnels torero, ganadero, vétérinaires et  les représentants des organisateurs et collectivités publiques, et un outil de type ligue professionnelle pour couvrir le champ social et si nécessaire des comités départementaux pourraient compléter le dispositif.

J’entends déjà les sarcasmes face à une vision qui sera jugée trop jacobine des choses et les réflexions sur l’infaisabilité d’un tel projet dans un milieu qui opte trop souvent pour l’opacité des pratiques et surtout au motif que cette  activité n’est que juridiquement tolérée. Je crains que les faits ne me donnent raison et que selon le processus déjà engagé l’économique ne l’emporte par la recherche systématique du spectaculaire, certes source de « devises », mais, à mon sens et par les temps qui courent, victoire à effet de court terme, victoire à la Pyrrhus…..

Tout n’est pas à faire mais il reste beaucoup à faire. En France l’association du type loi de 1901 fédère l’aficion dans les clubs taurins ; ceux-ci cherchent eux-mêmes à se rapprocher mais il y a entre autres deux fédérations (FSTF et UCTPR) ; il existe aussi la représentation des vétérinaires (AVTF), des éleveurs de bétail brave et celle des villes taurines (UVTF), notons aussi la récente émergence d’une association des toreros français. Selon moi une étape essentielle a été franchie en France avec la création de l’Observatoire National des Cultures Taurines (ONCT) que nous envie le mundillo espagnol : il est un lieu idéal d’impulsion ayant vocation à aider à l’élaboration d’une stratégie pour la corrida ; il n’est pas un organisme d’initiés plutôt intellectuels, son pragmatisme a payé avec l’inscription  à l’inventaire.

Pour aller au bout du raisonnement il faudrait envisager en préalable l’organisation d’assises internes à la tauromachie organisées par une Haute Autorité, instance politique décisionnelle dont la composition équilibrée fonderait la légitimité, avec comme support pédagogique l’Observatoire qui doit privilégier son rôle de laboratoire d’idées. Ce type de représentation permettrait l’ouverture de chantiers facilitant la reconnaissance de la corrida par nos partenaires ou même par les opposants. Il n’y a rien de pire que l’argument commun selon lequel « pour vivre heureux vivons cachés » peu porteur d’une perspective d’avenir et proche du « après moi le déluge ».  

L’exemple des démarches engagées en matière de chasse pour la gestion des territoires et des espèces dans le contexte très contraignant des directives européennes relatives à la protection de la nature démontre que la raison peut s’imposer et l’emporter sur les passions, fussent-elles exacerbées, à la condition qu’existent les lieux d’écoute et de décisions partagées. Une telle approche qui pouvait apparaître comme utopique a donné des résultats positifs  auxquels ont participé et continuent à participer les représentants des chasseurs et les écologistes ; ce n’est donc pas hors de portée ; alors, même si nous partons de plus loin que la chasse, notre passion n’étant qu’une exception et ne constituant pas un sujet politiquement porteur, pourquoi pas ?


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