Cadrer le toro
Voilà une éternité que Je n’ai pas publié un article dans la rubrique « RÈGLES DE L’ART ». Pourtant, c’est l’un des principaux objectifs de « Vingt passes, pas plus » de contribuer si peu que ce soit, à l’aficion et l’occasion, pour quelques uns dont je suis, d’approfondir leur connaissance de la tauromachie. Donc, allons-y ! Aujourd’hui, essayons de comprendre ce que recouvrent le terme et l’action de cadrer le toro, cette séquence incontournable de la lidia dont le respect des règles va conditionner l’entrée à matar et favoriser la sûreté de l’estocade.
Quelques lexiques espagnols ou français à notre disposition (pas tous) définissent le terme taurin « cadrer », de façon plus ou moins succincte ou plus ou moins exacte. Je vous laisse le soin d’y recourir au hasard de vos lectures. Mais tout compte fait, je ne peux m’empêcher de reproduire ici une description réellement pertinente de ce terme taurin par le torero français Plumeta * qui avait abordé le sujet en avril 1912 ! Et son propos reste bien sûr d’actualité.
Pérorant un jour dans un club taurin du Gard, je fus interpellé par un aficionado qui me demanda : « Pourquoi faut-il que le toro soit cadré quand le matador va l'estoquer ? » Un de ses voisins devançant ma réponse dit : « C'est pour que l'épée pénètre mieux. Le toro d'aplomb, l'estoc ne risque pas de rencontrer les os».
« C'est inexact », m'écriai-je aussitôt. « Cette grave erreur dure depuis que la corrida a été importée en France. Si l'on pouvait frapper le toro absolument immobile, votre assertion aurait une apparence de vérité. Mais il n'en est rien. Au moment du centre de suerte, il est rare de voir un toro parfaitement indifférent et ne bougeant pas. En réalité, il faut cadrer le toro pour permettre à l'homme de mesurer son coup avec art, et surtout pour lui assurer l'avantage sur l'animal ».
- Comment cela ? Vous allez vite le comprendre :
Cadrer vient du terme espagnol cuadrar […]. Nous avons plus ou moins bien francisé le mot. On pourrait aussi bien dire cuadrer, mais cadrer est entré dans la langue taurine. Acceptons-en l'usage, à l'instar de l'Académie.
Une croyance commune chez les, aficionados français est la suivante : cadrer veut dire mettre les quatre pieds du toro sur une même ligne, deux à deux. C'est exact, mais incomplet. […] Le toro n'est pas parfaitement cadré si, en outre, il n'a pas la tête horizontale et les yeux fixés sur la muleta du matador qui va s'engager à l'estocade. Il n'est d'ailleurs pas absolument nécessaire, lorsque l'espada entre à matar que les quatre pieds soient égalés, condition rarement réalisable. Il suffit des deux pieds de devant, contrairement à ce que croient beaucoup d'aficionados de chez nous. La raison en est bien simple. Si l'animal a l'un de ses deux pieds de devant en avant ou en arrière, il n'a plus qu'un pas à faire pour se porter avec facilité à la rencontre du matador : d'où désavantage pour celui-ci; en effet, le toro se meut plus difficilement quand ses jambes sont sur le même plan. Nous lisons dans la Tauromaquia de Guerrita, page 327, l'excellente explication qui suit : « Si le toro a avancé une patte, il possède déjà de la force pour s'élancer et le point d'appui nécessaire pour donner de l'élan à sa course ».
D'autre part, si le toro a la tête trop haute, le matador portera difficilement le coup, surtout sil est de petite taille. Si, au contraire, la bête a la tête basse, elle n'aura qu'à la relever en un temps pour cueillir l'espada entrant à l'estocade. Il faut, par conséquent que la tête du toro soit horizontale afin qu'il la baisse et la relève en deux temps. C'est à peu près entre ces deux temps que le diestro signe l'estocade.
Enfin, il est compréhensible qu'il est dangereux de porter un coup à un animal distrait, d’où la nécessité de l'obliger à fixer les yeux sur le leurre. (NDLR : Plumeta n’aborde pas ici le rôle majeur de la muleta et de la main gauche dans l’estocade).
Ces trois conditions remplies, le toro est bien cadré.
Plumeta - Avril 1912
• Léonce ANDRÉ "Plumeta" Torero français (1880 – 1915).