Le monologue du - (fin)
Nouvelle inédite de Georges GIRARD
présentée au Prix Hemingway 2011 sous pseudonyme.
sur une idée originale de Francine,
Note de l'auteur : Toute ressemblance avec..... etc.... est purement fortuite.
Que vous dirai-je encore que vous ne connaissez ?
Pepe, l'ami, le confident, le cerbère, est mieux placé que moi.
Un valet d'épée sait de son maestro jusqu'au tréfonds, à l'infini.
Qui dit valet d'épée, dit épée.
Parlons-en de l'épée, voulez-vous ? Juste une minute.
L'épée d'El Cantaor... etc.
Serrée dans l'étui de cuir repoussé, repassée à la pierre douce, aussi acérée qu'une saeta un jour de procession, elle attend. Lame tolédane damasquinée, nervurée, elle a la courbure propice, le tranchant idéal, celui qui fend d'un trait une feuille de papier à cigarette. Pepe mâchonne son mégot, éteint depuis le premier tiers, qu'il rallume au troisième dès que le Maestro est venu à la barrière quérir l'épée. Il va offrir la mort, point d'orgue, point final. "Funámbulo" a tout donné pour que se réalisent leurs destins.
Noblito, bravito, diront les journalistes. Mais pouvait-il davantage ?
L'acier miroite. Une goutte frissonne au nez du torero dressé sur les pointes de ses zapatillas, profilé, main gauche basse, muleta sous le mufle. C'est la gauche qui montre le chemin, la sortie. La main qui tue. Exit. L'épée n'est qu'un prétexte. Simultanéité de deux mouvements croisés dans un cri délivrance. Le haut du corps bascule et l'épée chuinte, fouille, lacère. Vers le bas la flanelle rouge explique aux cornes qu'il leur faut dévier de cette jambe droite, de la saphène offerte, de la fémorale palpitante de vie...
Pelotonné contre la cuisse gauche, je reçois le souffle fort du toro qui se meurt. Je me recroqueville autant qu'il m'est permis.
C'est que je me retrouve, moi, en première ligne !
Et qu'un coup de corne, c'est tout de même un coup de corne !..
Autant s'en préserver, non ? Vous me direz que là où je suis coincé, je ne risque quasiment rien. Quoique...
L'angoisse visqueuse du torero dans la chambre d'hôtel tout à l'heure m'a rendu d'abord tout petit. Au paseo, sous les crépitements des flashs, il a retrouvé sa superbe. J'ai suivi.
Cela va de soi.
Mais à chaque passe un peu trop frôleuse, lascive, languide, de sentir défiler lentement contre moi les formes musculeuses du partenaire, j'ai bien failli perdre mon self-control. Si je ne suis pas sorti de mes gonds comme le loup du bois, c'est que je n'avais pas la place requise pour m'épanouir davantage.
Faudrait quand même pas exagérer !
Je suis une chose aussi vivante que la main du torero, que ses épaules qui s'arrondissent à la véronique, que son sourire évanescent quand il débouche les flacons.
Aussi rosé que son costume de Madrid, veiné de lilas à mes heures.
Je suis lui.
Le trait d'union entre les femmes et lui. Celles qui se pâment sur les gradins et celles d'après la course qui n'attendent que ça.
Heureusement, El Cantaor enchaîne peu les aventures amoureuses, ce qui en soi n'est pas plus mal car je ne risque pas le surmenage.
Quelquefois il déroge, au risque de perdre ses papiers le lendemain, mais la plupart du temps nous assurons très honorablement ma foi.
Si elle ne m'émeut pas, c'est qu'il est à peu près certain qu'il ne l'aimera pas. Un autographe, un sourire et la belle est comblée...
Un détail cependant me gêne bigrement aux entournures.
Le Maestro est droitier.
C'est donc à gauche forcément qu'on me range à chaque habillage,
alors que ma querencia naturelle se situerait plutôt à droite...
Dans une prochaine vie je vais me choisir un gaucher.
Par bonheur, à chaque fin de tarde, la douche réparatrice vient mettre un terme à ma séquestration.
Mon torero s'ébroue comme un canard et moi je peux enfin testiculer tout à loisir ! "
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El Pato negro, février 2011.