Paco Camino, "el niño sabio"
Il dormait quelque part, sur une étagère, oublié, même si la mémoire avait retenu son existence. Il a suffi d’un après-midi de pluie, en cette semaine de fin d’année, pour le revoir, l’ouvrir, se souvenir…
« Paco Camino, el Mozart del toreo » côtoyait “ Nacido para morir” consacré à la vie de Paquirri, sur le rayon de la bibliothèque, deux ouvrages de la collection “La Tauromaquia” parus chez éditeur espagnol Espasa-Calpe, il y a maintenant longtemps : en 1984 pour Paquirri, dix ans plus tard pour Paco Camino. Deux destins exceptionnels et deux « figuras » de la tauromachie du XXe siècle. D’ailleurs c’est Camino qui avait été le témoin d’alternative de Paquirri comme celle de José Falcon, tous deux morts par la corne de toros.
Mais revenons à ce témoignage d’une époque révolue que Carlos Abella raconte dans cet ouvrage et souvenons-nous… Nous sommes en 1960. Nous étions ados et attendions l’ouverture des portes des arènes sur le coup de midi pour être assis juste en dessus de la présidence en ayant payé un billet d’amphithéâtre. Bien sûr il fallait attendre 4 ou 5 heures, sous le soleil avant que le speaker de service, je crois me souvenir qu’il s’appelait Casabianca, nous rappelle qu’il fallait faire attention aux picpockets et que « la Marseillaise » résonne, mettant les arènes debout.
Le dimanche 5 juin, Julio Aparicio, Jaime Ostos et le nouveau matador de toros Paco Camino étaient au paseo de cette corrida de Urquijo mais un des bichos devait être remplacé par un Carlos Nuñez. Un trio qui devait être souvent renouvelé, au début des années 60 avec ou sans Antonio Ordoñez ou Diego Puerta.
Dans la revue « Toros » Paquito commente cette course et plus particulièrement le combat du « Niño Sabio » qui avait reçu l’alternative quelques semaines auparavant à Valencia, sortant en triomphe avec Jaime Ostos d’une corrida de Urquijo. A part une novillada à Roquefort, il n’a jamais toréé en France mais la presse et la radio espagnole ont souvent relaté ses triomphes comme cette novillada, sa deuxième seulement avec picadors, où il coupa 2 oreilles, la queue et la patte. Ce garçon, âgé de 20 ans né à Camas, calle du Général-Franco le 14 décembre 1940, viendra ensuite toréer à Nîmes 29 corridas, plus que Bayonne (28) et seulement 3 à Arles et Fréjus. Mais c’est Barcelone qu’il affectionne et où il a le plus torée (82 corridas) pendant sa carrière qui s’est terminée en 1987.
« Un bicho dont il fallait ne pas perdre la tête parce qu’il s’arrêtait en suerte, se serrait, derrotait à mi-course… » Le Niño fit étalage de son sens du terrain. « Ses veroniques et son remate furent dignes d’un vétéran » poursuit le revistero qui retient les chicuelinas et la rebolera et les trincheras et firmas qui commencent la faena puis redondos et naturelles, trois par trois, terminés par le pecho. « Surgirent enfin l’envolée du molinete et de deux banderas. Et alors ce fut l’entrée a matar, sensationnelle, croisant à la perfection, basculant sur la corne. Le chico mit trois-quart d’épée légèrement en avant. Un descabello. Pétition d’oreille. Deux tours de piste, bronca à la présidence, le public se demandait un peu s’il avait assisté à un vrai combat où s’il avait rêvé… »
Pierre Dupuis conclut ainsi cette reseña dans son livre « Toros à Nîmes » : « Ce fut la première des nombreuses tardes que Camino devait toréer à Nîmes, pas toujours, hélas, dans d’aussi bonnes dispositions. »
La dernière corrida de Paco Camino à Nîmes devait être le 6 juin 1981 avec au paseo El Cordobes et Patrick Varin et des toros de Manolo Gonzalez et Sanchez Dalp. Entre 1960 et 1983, Camino a torée 8 fois avec Nimeño et une fois avec Richard Milian mais 260 corridas avec Diego Puerta ; 184 avec El Viti ; 139 avec El Cordobes ; 128 avec Antonio Ordoñez ; 103 avec Paquirri et 95 avec Jaime Ostos. Il a torée pendant ces temporadas, 1456 corridas coupant 467 oreilles, 1046 deux oreilles et 141 queues.
Entre temps il sera présent à nouveau dans l’amphithéâtre nîmois pour une corrida-événement comme sait les dresser Simon Casas. Paco Camino et Miguel Baez Litri donneront à leurs fils Rafi et Mike l’alternative.
C’était le 26 septembre 1987.
On dit que « Canal + » aurait ajouté 2 millions de Francs, uniquement pour les toreros. Dans le callejon toute la presse française et espagnole était invitée. Les deux récipiendaires sont vêtus de blanc et d’or. Une ovation accueille les toreros et Georges Lestié écrit pour « Toros » : « Ce fut une corrida à part ». On avait amené 11 Jandillas pour éviter les surprises. Ils donnèrent à la course l’allure du festival qu’elle était.
Mike Litri fut le premier sacré par son illustre père. Il fut quelconque, tua mal et l’oreille accordée fut contestée. Celle coupée au cinquième fut plus méritée. Son père montra encore à 53 ans son savoir taurin. Il coupa une oreille et sa… coleta qu’il offrit à la ville.
Rafi Camino fut décevant au toro d’alternative et se racheta au dernier mais laissa le succès à son père. Paco surclassa tout le monde.
« La faena comptera certaines séquences éblouissantes, écrit Georges Lestié, doblones du début, série de quatre naturelles aériennes et pecho immense… Une leçon d’adaptation des cites, de toreo sans effort, toreo de poignet et de « tête privilégiée » avec majesté naturelle et cette fluidité du geste, intacte, enchanteresse parfois. »
Paraphant le tout, une ahurissante estocade, portée au ralenti, décomposant les temps, jusqu’à la garde. Une oreille qui valait toutes les autres, grande ambiance lors de la vuelta finale sur les épaules et sortie triomphale.
Les toros combattus par Paco Camino
Contrairement aux toreros actuels, Paco Camino a combattu pratiquement toutes les encastes et même s’il disait qu’il préférait les toros santacolomas, les statistiques prouvent que ce sont les toros de Juan Pedro Domecq qu’il a le plus estoqués : 160 mais les Joaquin Buendia arrivent tout de même en seconde position avec 145. Depuis ses débuts en 1954 dans un festival où il paraît en culottes courtes et larges qui descendaient jusqu’aux genoux où il coupa 2 oreilles, la queue et la patte d’un becerro de Baldomero Sanchez, le torero de Camas a triomphé tant en Espagne qu’en France et en Amérique, notamment au Mexique où il rencontra son épouse, fille de l’empresa de la Monumental de Mexico, Norma Gaona. Leur mariage a eu lieu en l’église de Coyoacan le 23 novembre 1963 et la noce suivie par 2000 personnes.
A Séville, l’un de ses grands triomphes l’a été face à un toro de Celestino Cuadri ; à Madrid à Las Ventas, il a coupé quarante oreilles et est sorti dix fois par la Grande Porte, entre 1963 et 1976. Sa faena au toro « Serranito » de Pablo Romero, ses quatre oreilles aux deux toros de Galache, en 1963, ses triomphes répétés devant les Baltasar Ibán, son solo de la corrida de Bienfaisance en 1970 où il va, de sept façons différentes, toréer sept toros issus de sept élevages, et couper huit oreilles, en font, avec El Viti, le torero absolu de Madrid. Mais Paco Camino connut de tristes tardes comme celle de Lima où il entendit les 3 avis. Toutefois sur l’ensemble de sa carrière, il ne reçut que 19 avis.
La vie aussi le marqua terriblement puisqu’il perdit son frère Joaquin, peone de confiance par la corne d’un toro dans les arènes de Barcelone le 3 juin 1973.
Dans la première partie de sa carrière et jusqu’en 1969, il toréa souvent des Francisco Galache, Antonio Perez, Martinez Elizondo, Marques de Domecq et Atanasio Fernandez puis des Juan Pedro Domecq, des Joaquin Buendia, Torrestrella, Juan Mari Perez Tabernaro, Baltazar Iban et Manolo Gonzalez. S’il ne rencontra que 4 Victorino Martin et 4 Miura, il combattit 30 Pablo Romero.
« El Niño Sabio de Camas » aura marqué son époque mais restera dans les souvenirs de l’aficionado comme un grand estoqueador et se distinguait à la cape par ses veroniques mains basses et pieds plantés au sol et ses chicuelinas. Un grand torero classique qui se convertit à l’élevage après avoir quitté les ruedos.
En 2005, le gouvernement espagnol lui remit la médaille des Beaux-arts.
Le livre se referme. Paco Camino nous aura fait rêver, une fois encore.
Paul BOSC
Bibliographie : « Paco Camino, el Mozart du toreo » de Carlos Abella ; « Toros à Nîmes” de Pierre Dupuy et le journal “Libération” Jacques Durand