Si ma tante en avait...
La fantasmagorie populaire distingue traditionnellement le taureau par les attributs qui extériorisent sa virilité : les organes sexuels externes et les cornes, mais n’oublions pas le garrot, cette masse musculaire surdimensionnée d’une quarantaine de kilos qui renforce l’encolure et ses muscles extenseurs. La nature est bien faite : tout est là pour assurer la survie du mâle, la protection du troupeau et surtout la domination du plus fort pour perpétuer l’espèce. Les hormones sexuelles facilitent le développement musculaire et la force physique, elles les subliment en période de rut. La confrontation sera rude entre les prétendants armés de leur paire de cornes ; arme fatale s’il en est puisqu’elles sont la cause des blessures mortelles au pâturage.
Manolo Ruiz Pipo
Cela entretient la projection de l’homme qui va jouer avec ces signes jusqu’à isoler les jeunes taureaux et les priver de toute relation reproductive avant leur affrontement dans l’arène comme si cela augmentait leur agressivité. Seule la grâce peut ouvrir à l’heureux élu la voie de la reproduction. Y a-t-il un parallèle à présenter avec l’appréciation ancienne selon laquelle un torero consommant une relation sexuelle avant la corrida se mettait en danger ou bien encore le débat entretenu tous les quatre ans autour des athlètes hypocritement protégés des influences nocives et de leurs familles dans le village olympique ? Pour les toreros et les sportifs, les mœurs et les pratiques ont changé ; pour les taureaux la règle demeure.
Côté gastronomie la consommation d’abats sexués a bien baissé même si les amourettes, les rognons blancs, les animelles, le morceau du boucher et, aux Etats Unis, les huitres des montagnes rocheuses donnent une coloration poétique aux couilles de taureau ; c’est le sens exact du terme argotique espagnol. La préparation du met autorise toutes les fantaisies : sauce ravigote ou bordelaise, friture ou persillade, les brochettes ou la daube sont possibles. Il reste que le mot est internationalement utilisé, et pas seulement dans le callejon, pour faire référence à la bravoure et au courage, Sarah Palin ayant même affirmé que Barak Obama en manquait.
Rien de bien original et, somme toute, rien de bien excitant pour notre civilisation méditerranéenne pourtant taxée de machiste en comparaison avec les vertus aphrodisiaques attribuées à d’autres signes distinctifs du mâle dans des contrées lointaines où le requin abandonne ses ailerons, le rhino sa corne, le tigre bile et griffes, l’éléphant ses défenses et à l’occasion tous d’y perdre la vie. Chez nous, les nerfs de bœufs ont eu leur utilité comme matraque, cette « chose » d’un mètre environ, plus longue chez le taureau que chez le manso - et dont, surprise, la longueur augmenterait avec l’âge, les veinards - qui sera séchée puis torsadée. Le frontal sera là pour rappeler la puissance du fauve par l’écartement et la longueur des cornes exposées comme le sont les trophées de chasse. A propos de trophées, le paradoxe est entier de priver de ses pavillons le taureau brave et noble qui a permis au torero de se mettre en valeur; c’est donc un taureau valeureux mais amputé dont la tête sera conservée pour être exposée.
Les cornes des taureaux sont l’objet de beaucoup de commentaires et souvent de polémiques sans fin. Au mieux ce sont la forme, la longueur, le calibre de l’appendice qui font la différence selon les encastes et les élevages. Les aficionados connaissent les arènes selon l’état des armures qui y sont présentées ; il reste bien sûr, même dans les lieux exigeants, le risque d’accident lors du transfert et donc la tolérance de « l’aréglage », si j’ose le terme. Au pire le fantasme du préservatif que véhicule le fait de protéger la corne en devenir avec les contestées « fundas » et la réalité du coiffeur animent aussi les débats. Les vérifications aléatoires ou celles qui sont effectuées en cas de doute visent à assainir les pratiques alors même que les cornes éclatées au premier contact avec la barrière ou le caparaçon sont encore trop fréquentes ; désormais si l’appréciation scientifique de la réalité de l’afeitado n’est plus contestable en raison des prélèvements et des analyses contrôlées par les vétérinaires il restera toujours l’appréciation politique des circonstances qui entourent le fait et donc les conséquences stratégiques qui en seront tirées.
Les blessures physiques engendrées par la corne évoquent la douleur et parfois la mort, que ce soit la pénétration et la déchirure des tissus et des vaisseaux, l’immiscion des germes et la sensation de brûlure toujours décrite par les toreros. A ce point du raisonnement il faut évoquer ces réflexions communes faisant le lien entre la corne et le torero : il n’est pas rare d’entendre le propos, défavorablement connoté, selon lequel « untel n’a jamais connu la corne » induisant que la ou les blessures sont un gage de sérieux et de qualité ; la discussion est inépuisable entre la finesse et la maîtrise du toreo qui peuvent expliquer le cas, voire l’autoprotection naturelle compréhensible de l’homme ou l’artifice critiquable qui éloigne insidieusement le danger.
La corrida repose sur la confrontation de la force brute à l’intelligence ; elle suppose un supplément de courage, une endurance physique souvent minimisée et quelque part un soupçon d’inconscience qui distinguent les diestros de l’être humain lambda. Pourtant la représentation est visuellement différente avec ce héros moderne dont la fragilité est soulignée par une silhouette féminisée par l’habit de lumière agrémenté d’accessoires connotés, ainsi, les bas roses ou les ballerines.
Le ballet fondé sur la nécessité de dominer mais aussi l’esquive entretient l’ambiguïté qui disparait pourtant dans la consommation violente de l’étreinte finale. Les femmes se sont mises face au taureau sans que leurs expériences n’aient suscité une approche analytique des enseignements qui peuvent en être déduits. Le sujet est délicat à aborder pour qui veut dépasser les propos de comptoir minimisant leurs performances et ramenant cette pratique à un épiphénomène sans perspective. Personnellement j’ai apprécié le positionnement des intervenantes à la conférence du sixième Printemps des Aficionados intitulée « des taureaux et des femmes ».Rappelant les aptitudes morales et physiques de la gent féminine à combattre le fauve, elles ont évoqué les limites d’une telle perspective notamment le poids puissamment symbolique représenté par le risque de blessure à la matrice, cet espace précieux où se conçoit la vie.
Passé outre cet obstacle elles ont souligné les autres limites qui pourraient être levées par une approche spécifique de la corrida sans qu’elle en soit dénaturée : l’habit n’est pas à leur avantage soulignant de manière excessive le bassin adapté physiologiquement à la maternité, mais aussi les postures viriles exposent de façon trop expressive les attributs masculins, autant de différences qui ne peuvent se gommer. Historiquement, des toreras ont actué en jupe-culotte et il n’est pas inutile de mentionner les rejoneadoras rappelant combien l’équitation sportive s’est féminisée.
Alors oui, ma tante peut très bien en être dotée et espérer toréer un jour à l’aune des mâles dominants; il reste à penser les quelques adaptations qui lui ouvriront, à elle et aux jeunes femmes élèves des écoles taurines, le chemin des ruedos. Le terrain des festivals et les tientas semblent particulièrement adaptés à ce travail préparatoire.
Tout ceci étant dit sans prononcer le mot !
Dominique Valmary