TAUREAU NUPTIAL
Au fil de l’histoire, des célébrations nombreuses et variées de jeux taurins ont façonné la corrida moderne. Sur ce long chemin profondément marqué par les rites païens et religieux, le fil conducteur de ces pratiques consacre de façon constante jusqu’à la fin du XIXème siècle le pouvoir du taureau stimulant la fécondité de la femme et de l’homme.
Robert BERARD* a récemment développé ce thème devant les membres du CERCLE TAURIN NIMOIS. "Vingt passes, pas plus" publie quelques extraits de cette conférence .

Il existait dans l’Espagne moyenâgeuse un rite aujourd’hui disparu qui impliquait le taureau dans sa symbolique : le taureau nuptial. Dans ces pratiques populaires liées au taureau, il est clair que son intervention est liée au pouvoir fécondant de l’animal dans le but de conquérir, stimuler et augmenter la fertilité de la femme et du mari. Et au-delà, de la réussite financière du couple.
En Estrémadure, les cérémonies nuptiales commençaient généralement deux jours avant la célébration du mariage. Le fiancé et ses amis faisaient sortir un taureau de l’abattoir attaché par une grosse corde pour lui faire parcourir le village en le toréant avec des vestes, des blouses ou des morceaux de drap jusqu’à la maison de la mariée où le fiancé lui posait une paire de banderilles ornées par la fiancée et il le mettait à mort. Après la mise à mort, le sang était recueilli sur du linge blanc. Ainsi à Plasencia, dans la première moitié de XIIIème siècle, une fête a été organisée par l’époux sur la place publique de la ville. Un document accompagné d’une miniature en rend compte : on y voit un taureau imposant campé au milieu de la place qui tient en respect les participants. Un homme le tient au moyen d’une grosse corde. Ainsi au XIIIème siècle, comme depuis de longues décennies, le taureau n’est pas laissé en liberté. Un autre homme penché au-dessus de la balustrade le provoque avec un vêtement, une cape tandis que d’autres lui lancent diverses armes de jet qui se fichent dans son corps. Il ne s’agissait donc pas d’un combat mais de le rendre furieux et de faire couler le sang. Dans d’autres cas, le taureau n’était pas mis à mort mais on le faisait saigner de diverses façons.
Par ailleurs, le marié et ses amis, s’appliquent à courir devant le taureau sur le trajet qui les mène jusqu’à la maison de la mariée bien qu’il soit attaché. Cette expression « courir le taureau » est très ancienne et on la trouve très fréquemment et elle est à l’origine du substantif « corrida »
Cette coutume a eu cours depuis au moins la moitié de XIIIème siècle jusqu’à la fin du XIXème. Une des plus anciennes corridas connues date de 1080 et a eu lieu à Avila à l’occasion des noces de l’Infant Sancho de Estrada avec la noble dame Urraca Flores. Une autre corrida parmi les plus anciennes date de 1144, à León pour le mariage de Uracca, la fille de l’empereur Alfonso VII avec le prince Garcia de Navarre. Ainsi le rite du taureau nuptial perd-il de sa religiosité populaire pour devenir fête taurine pratiquée en diverses circonstances et pas uniquement lors des mariages.
Devenant fête taurine, on mit alors en pratique la mort systématique du taureau. Alors que le nombre était réduit à un dans le cas du taureau nuptial, c’est généralement six qui sont combattus et parfois jusqu’à douze dans le cas de combats à cheval qui parfois étaient fort brefs. Cette quantité s’oppose au seul taureau du rite.
C’est la modification du rite en combat qui nécessite un nombre important de taureaux, c’est la réitération de la mort qui la banalise et amène sa transformation de caractère profane. En laissant le taureau libre, le combat devient dangereux. Débarrassé de sa vision magico-religieuse, le taureau n’est plus perçu comme un animal sacré. Le rite devenu combat, la fin victorieuse s’impose et la mort du taureau devient nécessairement logique. Et, paradoxalement, le sacrifice apparaît lorsque la notion de sacré disparaît.
Chaque corrida comporte trois tercios bien distincts : celui des piques, celui des banderilles et celui de l’estoc ou de muleta appelé faena. C’est ce dernier qui nous intéresse particulièrement. Nous avons constaté que la mort du taureau ne constitue pas nécessairement un élément du rite originel mais s’est imposé progressivement lors de la corrida à cheval au XVIIème siècle pour devenir un élément essentiel, l’aboutissement de la fête. Transféré de la corrida à cheval à la corrida à pied, il a perdu tout caractère rituel pour acquérir une fonction ludique. Cependant la fonction ludique de la mort du taureau ne semble pas évidente. Il est certain qu’à l’origine, cette mort était étrangère au rite qui l’a ensuite intégrée sous l’influence de la corrida à cheval. Et cet événement non rituel est devenu essentiel dans les manifestations populaires, se transformant en thème rituel d’un thème profane durant cette période de spectacle anarchique, sauvage et sanguinaire où le peuple a le premier rôle. Il tire d’ailleurs ses actions des nouveaux éléments de la corrida moderne, le cape, les banderilles même la muleta. En ce qui concerne l’acte suprême, il est très nettement inspiré par la fête du taureau nuptial et en particulier les instruments nécessaires : l’épée et la muleta.
Robert BERARD* a récemment développé ce thème devant les membres du CERCLE TAURIN NIMOIS. "Vingt passes, pas plus" publie quelques extraits de cette conférence .

Picasso - La femme et le torero
Il existait dans l’Espagne moyenâgeuse un rite aujourd’hui disparu qui impliquait le taureau dans sa symbolique : le taureau nuptial. Dans ces pratiques populaires liées au taureau, il est clair que son intervention est liée au pouvoir fécondant de l’animal dans le but de conquérir, stimuler et augmenter la fertilité de la femme et du mari. Et au-delà, de la réussite financière du couple.
En Estrémadure, les cérémonies nuptiales commençaient généralement deux jours avant la célébration du mariage. Le fiancé et ses amis faisaient sortir un taureau de l’abattoir attaché par une grosse corde pour lui faire parcourir le village en le toréant avec des vestes, des blouses ou des morceaux de drap jusqu’à la maison de la mariée où le fiancé lui posait une paire de banderilles ornées par la fiancée et il le mettait à mort. Après la mise à mort, le sang était recueilli sur du linge blanc. Ainsi à Plasencia, dans la première moitié de XIIIème siècle, une fête a été organisée par l’époux sur la place publique de la ville. Un document accompagné d’une miniature en rend compte : on y voit un taureau imposant campé au milieu de la place qui tient en respect les participants. Un homme le tient au moyen d’une grosse corde. Ainsi au XIIIème siècle, comme depuis de longues décennies, le taureau n’est pas laissé en liberté. Un autre homme penché au-dessus de la balustrade le provoque avec un vêtement, une cape tandis que d’autres lui lancent diverses armes de jet qui se fichent dans son corps. Il ne s’agissait donc pas d’un combat mais de le rendre furieux et de faire couler le sang. Dans d’autres cas, le taureau n’était pas mis à mort mais on le faisait saigner de diverses façons.
Par ailleurs, le marié et ses amis, s’appliquent à courir devant le taureau sur le trajet qui les mène jusqu’à la maison de la mariée bien qu’il soit attaché. Cette expression « courir le taureau » est très ancienne et on la trouve très fréquemment et elle est à l’origine du substantif « corrida »
Cette coutume a eu cours depuis au moins la moitié de XIIIème siècle jusqu’à la fin du XIXème. Une des plus anciennes corridas connues date de 1080 et a eu lieu à Avila à l’occasion des noces de l’Infant Sancho de Estrada avec la noble dame Urraca Flores. Une autre corrida parmi les plus anciennes date de 1144, à León pour le mariage de Uracca, la fille de l’empereur Alfonso VII avec le prince Garcia de Navarre. Ainsi le rite du taureau nuptial perd-il de sa religiosité populaire pour devenir fête taurine pratiquée en diverses circonstances et pas uniquement lors des mariages.
Devenant fête taurine, on mit alors en pratique la mort systématique du taureau. Alors que le nombre était réduit à un dans le cas du taureau nuptial, c’est généralement six qui sont combattus et parfois jusqu’à douze dans le cas de combats à cheval qui parfois étaient fort brefs. Cette quantité s’oppose au seul taureau du rite.
C’est la modification du rite en combat qui nécessite un nombre important de taureaux, c’est la réitération de la mort qui la banalise et amène sa transformation de caractère profane. En laissant le taureau libre, le combat devient dangereux. Débarrassé de sa vision magico-religieuse, le taureau n’est plus perçu comme un animal sacré. Le rite devenu combat, la fin victorieuse s’impose et la mort du taureau devient nécessairement logique. Et, paradoxalement, le sacrifice apparaît lorsque la notion de sacré disparaît.
Chaque corrida comporte trois tercios bien distincts : celui des piques, celui des banderilles et celui de l’estoc ou de muleta appelé faena. C’est ce dernier qui nous intéresse particulièrement. Nous avons constaté que la mort du taureau ne constitue pas nécessairement un élément du rite originel mais s’est imposé progressivement lors de la corrida à cheval au XVIIème siècle pour devenir un élément essentiel, l’aboutissement de la fête. Transféré de la corrida à cheval à la corrida à pied, il a perdu tout caractère rituel pour acquérir une fonction ludique. Cependant la fonction ludique de la mort du taureau ne semble pas évidente. Il est certain qu’à l’origine, cette mort était étrangère au rite qui l’a ensuite intégrée sous l’influence de la corrida à cheval. Et cet événement non rituel est devenu essentiel dans les manifestations populaires, se transformant en thème rituel d’un thème profane durant cette période de spectacle anarchique, sauvage et sanguinaire où le peuple a le premier rôle. Il tire d’ailleurs ses actions des nouveaux éléments de la corrida moderne, le cape, les banderilles même la muleta. En ce qui concerne l’acte suprême, il est très nettement inspiré par la fête du taureau nuptial et en particulier les instruments nécessaires : l’épée et la muleta.
* Robert Bérard, a dirigé la rédaction de "LA TAUROMACHIE - histoire et dictionnaire ». Il a reçu le prix hemingway 2007 pour sa nouvelle "CORRIDA DE MUERTE".