Un merveilleux malheur
L’indulto d’Arrojado samedi à Séville a magnifiquement théâtralisé la corrida voulue par un public, de plus en plus nombreux, prêt à enterrer les fondamentaux de la lidia, et en premier lieu le tercio de piques. Arrojado est décrit comme un toro plutôt petit, correctement armé, manso sans caste, peu piqué, et noblissime dans la muleta du maître, ainsi que le voulait Juan Pedro Domecq. Le public de la Maestranza, légitime s’il en est, debout, au bord de l’extase, a obtenu l’indulto après une pétition ultra majoritaire parfaitement orchestrée par Manzanares. Un public tendu vers le seul aspect esthétique de la faena, un toro fabriqué sur mesure pour servir sur des roulettes cette faena, soixante passes durant. Voilà qui répond à la question que beaucoup d’aficionados désabusés se posent de façon récurrente : où va la corrida ?
Situation pathétique qui me rappelle un dilemme d’un autre ordre que le psychanalyste Boris Cyrulnik évoque dans deux de ses ouvrages : « Un merveilleux malheur », et « Parler d’amour au bord du gouffre ».