Vingt passes, pas plus...

Publié le par Charles CREPIN

 

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Dimanche matin, tôt sur les gradins. Il fallait tenir sa place à l’heure du paseo. Une longue attente durant laquelle les aficionados se retrouvent, échangent, et partagent fougasses, pain et pâté des halles, le tout arrosé de rouge ou rosé. Une convivialité que seule la hauteur des gradins autorise. Moment privilégié où chacun donne son sentiment sur les protagonistes de la matinée. On prédit la course, non pas telle qu'on l'a rêvée, mais telle qu'on la verra sans doute... Prudence ! Une farandole colorée et bruyante suspendue sur les plus hautes pierres tresse la couronne vivante dont l'amphithéâtre est paré dans les grandes occasions. No hay billetes ! Le soleil monte, le mercure à son tour escalade ses gradins. le Mistral tire sa révérence, plus un souffle. C’est l’heure !

Chicuelo donne Carmen ! José Tomàs ouvre le paseo, Morenito à sa gauche en sobresaliente. Qui sait ce que réserve la course ? L'ambiance électrique, magique, fait place à un silence recueilli, religieux. Insolite. On sait que les toros ont été soigneusement triés sur des critères de caste, d’âge, de trapio, de taille et de type d’armures... pas dans le sens espéré... Mais on a vu bien pire à Nîmes (et ailleurs aussi... est-il encore besoin de le préciser ?). 

Premier tercio : au capote, José sert des passes variées, à deux mains, d'une seule main… pas toujours réussies. Un joli quite de Morenito. Quelques mises en suerte approximatives, des charges modestes, sauf le premier et le cinquième, le tercio ne fera pas date, mais au final, pas de faiblesse accusée, pas de simulacres ou raccourcis souvent vus ici avec les stars du G10... Côté faena, pas de soseria rédhibitoire façon bonbon à cent passes. Mais de la "toréabilité", comme on dit aujourd'hui.

"Vingt passes, pas plus" ! En cette matinée,  Tomàs en a fait sa devise : cinq séries de passes bien serrées à chaque toro, pas plus, sauf à Ingrato, indulto oblige. José est centré sur la ligne de charge, mais plus comme avant. Son toreo moins vertical n'investit plus le même terrain. Le corps est ici, et non plus "oublié à l'hôtel". Quelques passes de châtiment parfois brutales, précèdent de profonds derechazos sincères et admirablement templés. Moins inspiré à gauche. En toutes circonstances, une grande sincérité et un dominio total, quelque peu contesté par le sixième rétif et brutal, inspirent le respect, l'admiration et l'émotion.

Je vois devant moi des espagnols devenir fous, les mains sur la tête, au bord des larmes. Magie et frisson retournent l'assemblée ! Les entrées à matar sont toutes engagées, dans les cornes, les épées uniques et toutes concluantes. Courage, sincérité, abandon de soi ! José, superbement, laisse à Julián son prudent julipié. Il surnage, ou il est sur un nuage, comme on voudra.

A la fin, onze oreilles et une queue soulignent en gras des pétitions fortes et un triomphe majeur, à l'excès bien sûr. Présidence et public submergé par l'émotion remplissent la corne d'abondance jusqu'à la faire déborder. Au paroxysme, un indulto renvoie au campo le cinquième, manso sautant les planches, sortant seul de deux brefs assauts au cheval, finalement absous de ses péchés par la pétition d'un public sensible à son infatigable noblesse. La noblesse est-elle ici la quintessence de la bravoure ? Misère ! J'ai vu à cet instant Tio Pepe frémir dans sa tombe. Quieto, Tio, ce n'est pas le jour ! Vuelta finale émouvante, et porte des consuls. Déjà sur les gradins, puis sur le parvis la foule reprend son souffle, fébrile, réjouie, volubile, consensuelle. Le souvenir des triomphes de Paco ressurgit, occupe les esprits et libère enfin le stress accumulé.

Si vous avez déboursé comme moi 21 € pour votre présence sur les gradins, ce n'est finalement pas cher payé ! Et vous vous souviendrez sans doute longtemps d'en avoir été. Merci José TOMÁS. Chapeau bas Monsieur CASAS pour cette somptueuse matinée (même si on oublie rien de tout le reste...). Cette corrida historique aura sans doute un immense retentissement et des suites, pour Nimes et son Colisée d'abord, pour la mémoire de la tauromachie en général. Elle est arrivée à point nommé pour affirmer le poids de nos traditions quelques jours avant la décision du Conseil Constitutionnel sur la QPC soulevée par quelques individus intolérants, égoïstes et incultes.

Publié dans Coup de chapeau

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A
j aime ton article carlo ... il resume tres bien cette corrida historique .... merci et bravo !!!!
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G
Je ne sais pas combien aurait pris le Cordobes ni combien aurait demandé Ojeda pour ce genre de solo. José Tomas aurait, à ce qu'on a dit, touché la bagatelle de 700.000 Euros ! A ce prix-là, il<br /> pouvait offrir au public, tout acquis à sa cause, une prestation au-dessus de la moyenne, non ? Alors, il convient de relativiser, sans pour autant enlever à son mérite, les prestations du<br /> "Sorcier". Et se dire qu'en matière de comptabilité, il faut équilibrer la balance. D'où, peut être, devoir rogner sur d'autres postes de dépenses. Les toros par exemple... Pas ceux de Tomas bien<br /> sûr... Quoi que... Mais ne boudons pas notre plaisir, même si le grand frisson n'était pas au rendez-vous pour les autres tarde de cette Feria des Vendanges ! Georges.
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J
Merci, Charles, de nous avoir remémoré les instants passés sur la rugueuse pierre des amphis en ce dimanche matin.<br /> Merci surtout à José Tomas de nous avoir permis de vivre ces moments d'émotion partagée, ces vingt passes, pas plus... qui en disent bien plus long que les trop longues faénas qu'on nous sert à<br /> longueur de férias.<br /> <br /> PS : merci aussi à l'orchestre Chicuelo II et à Sébastien Castella de nous avoir offert, dans un tout autre registre, un joli moment à la fin de la faéna de son dernier toro.
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