Le dernier Calife de Cordoue

Publié le par Paul Bosc

Le 20 mai dernier à Madrid, dans les arènes archipleines de Las Ventas (Le journal El Pais précise : « lleno hasta la bandera en los pasillos de la plaza ») Manuel Benitez Peres « El Cordobès » a reçu l’hommage solennel des autorités madrilènes pour commémorer le cinquantième anniversaire de sa confirmation d’alternative.

 

Ce jour du 20 Mai 1964, celui qui n’était pas encore le Ve Calife de Cordoue allait recevoir la grave blessure qui allait émouvoir toute l’Espagne, trois jours après son prodigieux triomphe nîmois relaté plus bas. Comme le racontent Dominique Lapierre et Larry Collins dans « Ou tu porteras mon deuil», ouvrage consacré à ce torero atypique, cette corrida retransmise à la télévision avait été suivie par tous les Espagnols qui se pressaient devant les bars et vitrines de matériels radiophoniques ou simplement en écoutant la radio. Tard dans la nuit, la foule silencieuse massée devant la clinique où le torero avait été transporté attendait le pire et priait pour son salut.

 

Celui qui va mourir…

Le « Phénomène » ou « le beatnik » qui toréait dans des terrains classés jusqu’alors impossibles, qui sautait devant les toros dans ce fameux « salto de la rana » avait conquis Séville quelques semaines auparavant de ce jour pluvieux et surtout Nîmes le 17 mai 1964, ce fameux dimanche de Pentecôte que le journaliste Roland Massabuau a rappelé dans le « Midi-Libre » de samedi dernier (1). Avec son manager El Pipo, ils avaient inventé une campagne de publicité qui n’existait pas à l’époque, comme d’ajouter aux affiches des courses où il se présentait : « celui qui va mourir » ou de faire publier des photos du Cordouan emmené par les garde-civils. Ce 20 mai 1964, sous un ciel orageux, Pedro Martinez « El Pedres » lui avait cédé sa muleta et son épée ; le témoin était un torero de sa ville natale de Palma del Rio : Manuel Garcia. Le toro « Impulsivo » portant la devise de Benitez Cubero, pendant la faena, le prend en plein centre de la piste. Le Cordobès est emmené à l’infirmerie sans qu’il ait pu porter l’estocade. Cependant la présidence lui accorde une oreille. Un mythe était né.

 

Calife à la place du calife

En 1965, il toréa 111 corridas et… 31 au mois d’août. Et puis il y eut les arènes portatives avec des défilés de novillos avec Palomo Linares comme compère, les chasses avec le général Franco qui pourtant avait fait fusiller de nombreux compatriotes de Palma, ses exigences pour le choix des toros et autres scandales qui faisaient entendre à « El Cordobès » plus de broncas que d’ovations. Après la mort d’un espontaneo, Fernando Villarroel « El Chocolate » en 1981 à Albacete (2), le Cordobès pris de remords quitta le costume de lumière. Il revint dans le ruedo de Palavas en 2001 en mano a mano avec Sébastien Castella et à Nîmes, une denière fois pour la Pentecôte 2002 avec Paco Ojeda, à l’occasion du cinquantième anniversaire de la feria. Les aficionados ont ensuite suivi son fils Julio en 2005.

En octobre 2002, Manuel Benitez « El Cordobès » devenait le 5e Calife de Cordoue après Lagartijo, Guerrita, Machaquito et Manolete. (NDLR : le titre califa del toreo, référence au Royaume maure de Cordoue), a été décerné à ces toreros d’exception originaires de la ville de Cordoue qui ont marque l’histoire de la tauromachie). El Cordobès est aujourd’hui âgé de 78 ans.

 

Sur les sites Internet consacrés au Cordobes, les lecteurs peuvent trouver d’autres anecdotes. En voici quelques-unes :

La corrida du 17 mai 1964 dans les arènes de Nîmes

Un des plus grands maestro de tous les temps a coupé à Nîmes et dans ses arènes estomaquées 4 oreilles, une queue et une patte. Avec pour spectateurs médusés, César Giron et Paco Camino (1 oreille). Les toros étaient de Don Felipe Bartolome, mais c’est un sobrero de Juan Pedro Domecq qui lui permit d’obtenir les trophées extrêmes (il avait coupé 2 oreilles à son premier) sous la présidence d’André Bazile. Pour celles et ceux qui étaient présents ce jour-là, ce fut une corrida unique en son genre, qui a marqué toute une génération d’aficionados. Comme l’écrit Jacques Durand dans Libération, « Il emporte avec lui à Madrid le cœur incendié des jeunes Nîmoises qui, le jeudi suivant, apprenant qu’un coup de corne lui a ouvert le ventre et qu’il peut en mourir, s’effondrent en larmes dans les couloirs du lycée Daudet, où une minute de silence sera observée ».

La Presse s’enflamme

« El Cordobès connaît le grand triomphe », titre le Provençal du lendemain, un journal sans mot assez fort pour qualifier l’événement. « Un enthousiasme indescriptible », titre le Méridional le 18 mai. «Corrida historique », pour un Midi Libre choc ! Le journaliste n’hésite pas à employer des mots rares, décrivant une émotion « qui vous secoue jusqu’au fond de vous-même ». Il poursuit la description d’un torero « dont la présence et la puissance de la personnalité » ont conquis les spectateurs chanceux.

Un phénomène mondial

El Cordobès a survolé les années 60 sur le plan tauromachique. Son courage, sa position par rapport aux toros, son poignet exceptionnel, son émotion dans les corps à corps constituent l’essentiel de son art. Par certains aspects, Sebastien Castella ressemble à ce style qui enthousiasme le public. Le style du Cordobès a fait débat car son toréo bousculait les codes classiques de la tauromachie de l’époque, avec notamment son célèbre saut de la grenouille. Après la mort de Manolete en 1947 dans les arènes de Madrid, il devient le matador pour lequel les spectateurs sont prêts à débourser des sommes folles. Il était question de 20 fois le prix du billet de corrida à Madrid sur le marché noir.

 

 

(1) Voir aussi l’article de Roland Massabuau – Midi Libre 17/05/2014 « Nîmes : Il y a 50 ans, El Cordobés mettait les arènes en folie »

(2) A lire sur Vingtpasses la tragédie d’Albacete en 1981

Publié dans Toreros

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G
En 1965, en vacances à Minorque,je découvre à la TV espagnole,en noir et blanc, ce torero coiffé comme in Beattle, qui électrise les foules et qui jusqu'à mon dernier souffle me laissera, depuis ce jour, un souvenir indélébile ! Bien sûr plus tard j'ai réalisé qu'il y avait une autre tauromachie, mais cet homme, toujours disponible pour un abrazzo sans concession ou pour faire encore un grand écart à 78 ans, m'aura au moins permis de rejoindre le giron de l'aficion ! Merci à lui !
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