La littérature tauromachique aujourd'hui
Par Dominique Valmary
L’acte littéraire est extraordinairement adapté au thème éternel du taureau et de son affrontement à l’homme. Cette légitimité s’enracine dans la mythologie méditerranéenne qui a tant nourri l’imaginaire, contribué à élever les constructions spirituelles et, avec la préoccupation de transmettre, justifié de coucher les dires sur des supports plus ou moins durables. La codification de la corrida moderne élaborée au temps des Lumières a ouvert la voie au foisonnement des modes et des types d’expression. Les premières publications ont abordé le sujet sous la forme de traités décrivant les règles qui vont structurer la corrida.
Tauromaquia - Cadiz 1786
De la magnificence au picaresque
Rapidement l’écriture s’ouvrira au récit et à la fiction. Au 19° siècle les écrivains voyageurs découvrent l’Espagne et en particulier cette pratique qui ne peut laisser indifférent, ni ceux qui aiment, tels Théophile Gauthier ou Prosper Mérimée, ni ceux qui dénoncent avec le souci de comprendre avant de juger comme Ernest Cœurderoi, ce médecin français contraint à l’exil au Second Empire. Ils contribuent ainsi à la diffusion de ce phénomène qui n’est ni un rite, ni un sacrifice, ni un art ou un sport mais certainement un peu de tout cela. Les formes habituelles d’expression suivront : romans, nouvelles, essais, biographies, sans parler des chroniques ou de la poésie sans oublier les arts plastiques, la musique, l’opéra ou le cinéma.
Sujet anobli par les plus grandes plumes du 20° siècle la corrida présente pourtant à l’œil critique de l’observateur deux faces qui s’opposent. D’un côté la grandeur des représentations élevée au rang de rite, de sacrifice, avec cet enjeu de vie et de mort qui sublime le combat, et d’autre par les aspects triviaux, rustiques pour ne pas dire ancillaires liés à la manipulation de l’animal avant le combat et de la dépouille à son issue. Entre ces deux extrêmes la corrida s’abandonne avec délectation aux mots et elle s’expose indifféremment à la magnificence et à l’emphase mais aussi à la truculence et au picaresque. Parfois aussi, elle se prête à la déraison ou au délire. C’est là un de ses charmes.
Mais où en est la littérature taurine en ce début de vingt et unième siècle ?
Force est de constater que les grands écrivains, ceux qui font l’actualité littéraire et occupent le haut des rayons et les têtes de gondole, ne prisent plus guère la tauromachie comme cadre de leurs intrigues et de leurs analyses sociétales bien qu’on puisse en croiser certains dans les arènes. Est-ce que la matière est épuisée et qu’il n’y a plus rien à en dire ? Est-ce un sujet considéré comme étant désormais en décalage avec les évolutions et les attentes des populations ? Au-delà des écrivains, les philosophes ont su prendre la plume avec succès pour amener du contenu à l’analyse de la raison d’être de la corrida et expliquer aussi ce qui en garantit la pérennité. Ce thème est d’évidence moins porteur mais il faut aussi y voir le résultat de l’image fâcheuse véhiculée par l’approche anglo-saxonne du bien être animal et la pression des abolitionnistes.
Nombreuses sont les personnes qui s’essayent à l’écriture avec plus ou moins de bonheur et osent s’exposer à l’appréciation des lecteurs ; il y a même nombre d’auteurs estimables par l’originalité de leurs écrits ou par leur style. Ce phénomène a toujours existé dans le passé comme en attestent les bibliographies publiées ou accessibles. Reste que le postulant devra s’adapter aux évolutions qui touchent désormais les mondes de l’édition et de la distribution.
Petits éditeurs passionnés, esprit militant
L’effacement des grandes maisons d’édition peut s’expliquer soit par la sensibilité du sujet, soit par la rareté de textes de qualité à la hauteur de leurs exigences, soit par les contraintes économiques liées au marché qui les obligent à réduire les prises de risque. Cependant, un inconvénient peut devenir un avantage puisque cet état de fait permet de découvrir la myriade ou la constellation constituées de ces petits éditeurs passionnés qui, comme l’artisan de quartier, défendent un savoir faire et une culture par la diversité des publications et encouragent ainsi les initiatives. Ils résistent parce qu’ils possèdent le sujet et qu’ils savent pénétrer le microcosme. Demeure chez eux l’esprit militant pour les causes que les grandes maisons ont abandonnées. Le revers de la situation est de « communautariser » la diffusion ce qui est réducteur et en contradiction avec l’idée même de culture.
Les mêmes sujétions produisent les mêmes effets en matière de distribution ; les réseaux ont progressivement « allégé » les linéaires jusqu’à supprimer toute exposition de littérature taurine et les indépendants ne s’aventurent que s’ils ont une inflexion vers la corrida soit qu’elle tienne à l’attachement personnel du libraire, soit à la localisation de son commerce dans une région de tradition. Les libraires spécialisés vont perdre dans quelques semaines un des leurs qui n’a pas trouvé preneur pour assurer la succession; il faut avoir la foi à l’heure de la concurrence de la vente à distance ; il l’avait, ayant dénommé sa boutique « Pays Passion », c’était une adresse appréciable et appréciée à Biarritz.
En matière de promotion, le mundillo, puisque l’édition se resserre autour de son cercle d’influence, fait plutôt dans la discrétion ; il y a peu de notes de lecture dans les revues taurines au regard du nombre d’ouvrages publiés. Les prix littéraires sont peu accessibles lorsque l’écrit traite de tauromachie et ceux qui sont dédiés à la corrida ne sont qu’au nombre de quatre ou de cinq et plutôt discrets dans leur démarche sauf peut être celui qui s’est donné les moyens de communiquer.
Quelles sont les tendances actuelles ?
Lorsqu’ils écrivent, de nombreux auteurs restent attachés au papier et à la relation si intime qu’il entretient ; d’autres se sont mis au clavier qui offre des facilités infinies de maniement même s’il occulte la graphie et les ratures qui font l’émotion procurée par les manuscrits ; cette émotion reste nettement supérieure au copié-collé ou à la sauvegarde sur disque dur.
Les nouveaux modes de communication ne sont pas neutres, ainsi l’avènement d’internet multiplie les opportunités de pouvoir publier ce qui reste l’aboutissement de l’acte d’écrire. L’inconvénient est la volatilité des publications sur le web où la notion de durée n’existe que pour celui qui prend la peine ou dispose du temps pour effectuer les recherches. La péremption de l’écrit se fait par l’effacement du texte lors de la parution de l’écrit suivant et par la rapidité de consultation par le lecteur.
De la tablette numérique ... à la force du livre-papier
Que penser d’une cyber-bibliothèque dont l’outil associé, présenté aujourd’hui comme étant incontournable, est illustré par la tablette numérique ? La corrida ne pourra éviter l’évolution et, déjà aujourd’hui, figure au catalogue la première offre d’un livre numérique taurin, me semble-t-il, avec la version dématérialisée de « la corrida parfaite », l’ouvrage de Simon Casas. Un autre avantage sera de rendre accessible au bibliophile les fonds taurins et les ouvrages rares s’ils sont numérisés un jour. Il reste qu’une question essentielle n’est pas résolue, celle de la durée dans le temps du stockage des données numériques ; elle tient à l’obsolescence des supports et des formats utilisés qui sont rendus régulièrement caducs par de toujours nouvelles découvertes. En la matière l’exemple de la musique enregistrée devrait mener à beaucoup d’humilité, elle dont les supports ont rapidement évolué au cours des années rendant inutilisables les lecteurs de toutes sortes, les disques, bandes, cassettes et les divers formats.
La littérature sert la culture taurine et assure à la fois la transmission, la pérennité et l’enrichissement des idées et des représentations par les messages et les témoignages qu’elle véhicule. Là, demeure la force du livre-papier que l’on range dans les rayons de la bibliothèque directement à portée de main et toujours disponible pour une éventuelle consultation. Personnellement j’apprécie l’aide apportée par internet au collectionneur chineur dans la recherche de l’objet rare ou désiré en ce qu’elle facilite la mise en relation de l’acheteur et du vendeur. Le champ de tous les possibles est plus que jamais ouvert comme l’édition d’ouvrages à l’unité évacuant ainsi le souci de la programmation aléatoire du tirage. Il reste donc aux libraires professionnels à investir les techniques informatiques et les outils qui leur permettront de mieux satisfaire le client par rapport aux monstres généralistes et impersonnels que sont devenus les diffuseurs industriels présents sur la toile.