Templar, le temps suspend son vol
Le temple (1) est l'expression gestuelle d'un processus technique et artistique complexe dans lequel l'intuition du torero est décisive. Bien exécuté, le temple est la quintessence d’une véronique sublime ou d'un muletazo parfait dont il ne peut être dissocié. Il prend aussi toute sa part dans la maîtrise de la passe et la domination du torero sur son adversaire.
Temple et domination palpables dès l'entame de cette verónica de Pepe Luis Vásquez... sur un nuage.
Templar consiste à régler le mouvement du capote ou de la muleta sur la vitesse de la charge du taureau. Le leurre donne la distance, suffisamment proche du mufle pour faire croire au taureau qu'il peut l'atteindre. Mais pas trop près, pour ne pas lui permettre d'accrocher sa cible et la frapper en désarmant le torero. Ni trop loin non plus, pour ne pas lui faire découvrir qu'il ne peut l'atteindre au risque de détourner son attention vers le torero. Avec une constante pour ce dernier : allonger les passes au maximum, pour notre plus grand plaisir.
Une question de tempo
On peut sans doute dire qu'une passe est templée lorsque la distance entre le leurre et les cornes du taureau reste constante tout au long des trois temps : le cite, la réunion, et le remate. Mais la distance n'est pas tout, la représentation de ce mouvement singulier est plus complexe. Une fois la synchronisation amorcée, le torero va tenter de renverser le rapport de l'initiative afin d'imposer à la bête d'adoucir et de ralentir sa charge pour la régler sur la cadence du leurre. Derrière le relâchement du torero et le glissement léger de l'étoffe, le changement de tempo perçu depuis les gradins crée une intense émotion, et le sentiment que le temps a suspendu son vol.
Un exercice délicat
Le temple est un exercice difficile. Son exécution devant un toro puissant qui embiste violemment à mi-hauteur est très aléatoire et peut relever de la simple utopie pour beaucoup de toreros. Les figuras doivent sans doute pour une bonne part leur régularité dans les triomphes et leur suprématie dans l'escalafon à leur capacité à templer devant leurs adversaires... adversaires dont beaucoup ont été choisis dans ce but, comme vous savez. En leur temps, Rafael El Gallo, Pepe Luis Vásquez ou plus près de nous, Curro Romero, Rafael de Paula et aujourd’hui Morante, toreros artistes plus irréguliers et capricieux, sont quelquefois parvenus à hisser leur temple au sommet de l'art tauromachique, de la beauté et du surnaturel. Robert Bérard (2) rapporte que Juan Belmonte confessa avoir pleuré devant la beauté de certaines passes d'El Gallo. J’imagine qu'elles étaient templées...
(1) Cette série d’articles propose une synthèse sur quelques fondamentaux de la tauromachie, Parar, Cargar la suerte, Templar, Mandar... Elle n'a pas bien sûr vocation à se substituer au contenu d'un manuel pratique, encore moins d’aborder un cours de toreo appliqué. Plus modestement, et ceci depuis la création de ce blog, l'idée est de divertir les lecteurs aficionados et les amis de Vingtpasses. Mais sans oublier la pédagogie en direction de ceux d'entre nous qui désirent trouver dans ces lignes l’occasion d'analyser de plus près certaines séquences de la corrida de façon simple, divertissante et synthétique.
(2) La Tauromachie - Histoire et Dictionnaire – Éditions Robert Laffont 2003
A suivre demain : Mandar