Capitalista
En français, terme dérivé du concept économique et social qui gouverne au quotidien la vie des gens sur la quasi totalité de la planète, sans alternative perceptible. Plus fréquemment, le nom est affecté d'une connotation péjorative, gros mot dans la bouche de certains. Chez nous, capitaliste porte inévitablement l’idée sous-jacente d’une distinction de classes, quand ce n'est pas une lutte encore bien vivace dans certains esprits, voire une pratique et une tradition. En ces temps de crise gravissime, capitaliste évoque à point nommé le milliardaire désœuvré ayant déjà assuré ses arrières, au cas où, dans un lieu de prédilection susceptible de lui garantir anonymat, réconfort et sérénité : un paradis fiscal (il en reste).
Une définition espagnole de « capitalista » nous interesse en particulier. En regardant la photo ci-dessus, laissez un instant les paillettes de Jean-Baptiste et descendez à l'étage en dessous, vers le type costaud en T-shirt rouge. Dans son cas, le mot désigne l’aficionado "enthousiaste" qui, à la fin de la corrida, se précipite pour porter le torero triomphateur sur ses épaules pour le tour de piste, ici, dans l'amphithéâtre nîmois, vers la porte des Consuls. Malgré la quasi exclusivité qu’il détient sur la place, l'histoire ne dit pas si ce capitalista deviendra riche et accumulera à son tour du capital, ni même si son labeur est rémunéré... Non sans ironie, le sens initial du mot, ainsi que les rapports de classe sont ici inversés...
Il y a aussi une autre définition de capitalista qui, injustement dérisoire, désigne un apprenti torero inconnu qui rêve de devenir une figura riche et célèbre (ça va avec). Celui-là rode autour des arènes à l’affût d’une opportunité qui lui permettra de se faire remarquer. Lorsqu’il saute des gradins sur la piste, muni d’une cape, ou même d’une simple veste pour voler quelques passes au toro d’un maestro afin d’attirer l’attention des professionnels, on l’appelle alors « espontáneo ».
Le règlement prévoit l’intervention de la cuadrilla, l’expulsion immédiate de l’espontáneo remis aux mains des autorités, ainsi qu’une forte amende. Mais ce n'est pas toujours le cas : un certain Manuel Benítez « El Cordobés » fit ainsi ses débuts, s’ouvrant la voie d’un destin hors du commun. Plus proche de nous, Simon Casas en fit autant à Nîmes le 27 septembre 1968, donnant une courte faena à un toro d’Antonio Ordóñez, à la suite de quoi commença une longue carrière, pas encore achevée, de star internationale auto proclamée.
Moins burlesque mais plus dramatique fut le dénouement de l’espontáneo de Fernando Eles Villarroel « El Chocolate » le 14 septembre 1981 dans les arènes d’Albacete. Le jeune homme sauta devant « Sospechoso », le deuxième toro d’El Cordobés, torse nu, citant l’animal avec sa chemise.
Espontaneo de F. Eles Villarroel - Photo “El Pais”
Sous les yeux horrifiés du public, Fernando Eles reçut deux graves cornadas, l’une dans le cou et l’autre dans le ventre, provocant une abondante hémorragie. Il décéda immédiatement. Le public reprocha durement au Cordobés et à sa cuadrilla de ne pas être intervenus à temps pour le quite. Le déroulement du drame, qui dura 17 secondes a ouvert une des pages les plus tragiques de la fiesta brava. Aujourd’hui, on ne recense plus beaucoup d’espontáneos, la multiplication des écoles tauromachiques n’étant sans doute pas étrangère à cette situation.